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FACE AU MONT-NOBLE

La vie d'Anne Pugin

Anne-Pugin

 

Anne-Marie Pugin 05.08-1943 - 16.03.2019

 

 INTRODUCTION

Après avoir vaincu deux fois le cancer, ma mère succombera face à un dernier assaut de la maladie le 16 mars 2019 à l'âge de 75 ans. Cette histoire raconte sa vie durant vingts ans, ses traitements, son travail, ses animaux, la musique et aussi le chalet, ce lieu de vie magnifique, mais éloigné de nous. Entre moments de tristesses, d'émotion, mais aussi d'espoir et de bonheur comme lorsqu'elle vient vivre ces derniers mois de vie chez nous à la maison.

Ce texte se compose de deux parties, une partie est écrite par ma mère, l'annonce de sa maladie et ces traitements, la seconde est écrite par moi, son dernier cancer, les travaux au chalet et la fin de sa vie.

Anne Pugin :

Chapitre I

Novembre 2000.

- Y a un type qui a téléphoné et qui voulait te parler ! Un malhonnête qui ne s’est même pas présenté. Je lui ai dit de rappeler à 19 heures…..

Voilà ce que m’annonce mon mari lorsque j’ouvre la porte du chalet alors que je rentre d’une journée de travail. Vexé… il est vexé ! C’est tout lui ! Je ne dis rien, mais j’ai compris : il y a une semaine, j’étais allée faire une mammographie et trois tumeurs de la grandeur d’un petit pois avaient été observées. En y pensant, je les avais senties, ces petites boules ! Je dormais habituellement sur le ventre et il me semblait bien que parfois quelque chose de dur me dérangeait au point que je me mettais sur le côté. Ce n’était pas constant, par périodes, et j’avais mis ça sur le compte des hormones qui travaillaient selon leur humeur. Mais au centre de radiologie, j’avais eu droit à la ponction. Je verrai toujours ces petites boules tenter d’échapper à l’aiguille, se défiant de l’examen. Bien sûr, on a tenté de me rassurer en me disant que ce n’était pas forcément cancéreux, que je devrai appeler mon médecin au début de la semaine prochaine pour avoir une confirmation. Je suis une personne positive, mais avec une mère, une sœur, des tantes et oncles, cousins et cousines décédés d’un cancer, je ne me faisais aucune illusion. De plus, j’étais abonnée aux « baso-cellulaires » et on m’avait déjà enlevé une dizaine de ces petits boutons cancéreux sur la peau. Des gentils boutons : ils ne fabriquent pas de métastases, mais s’élargissent sur la peau et il faut les enlever. Donc malgré toute la peine qu’ils ont prise à me réconforter, je suis repartie du centre d’imagerie sans aucune illusion : c’était mon tour !

Reste à attendre 19 heures, heure à laquelle le « type malhonnête » doit me rappeler. Je mange ce soir-là sans grand appétit en regardant les aiguilles de l’horloge avancer sur le cadran. Lentement. Juste avant le dessert, sonnerie tonitruante du téléphone dans le calme de la pièce. Avec moi, le « type malhonnête » ne se présente pas non plus. Pas la peine : nous nous connaissons depuis vingt ans et chacun sait pourquoi l’un appelle l’autre. Les analyses…… Mon docteur est un homme discret et charmant. Il sait que si c’est lui qui m’appelle je comprendrai tout de suite la situation. Après un « bonsoir, je ne vous dérange pas ? » traditionnel, il attaque la question de front, car il sait que j’aime les choses claires et nettes. Il ne se confond pas en phrases inutiles, il n’essaie pas de minimiser le problème. Il m’annonce gentiment mais fermement que les résultats des analyses sont positifs et que le mieux serait de se rencontrer à son cabinet pour étudier la chose. Oh que oui ! Et le plus vite possible ! Nous fixons un rendez-vous pour le lendemain après-midi, puisque je n’ai pas cours, avec mon mari et moi. Car mon mari est tout aussi concerné par mon problème que moi. Il y aura des changements dans la maison. Et il devra en assumer sa partie.

La messe est dite…… Après avoir raccroché, nous nous regardons mon mari et moi. Que faire, que dire ? Il y a deux solutions : soit je m’écroule en pleurant, soit nous sortons nos instruments de musique et nous jouons jusqu’à ce que les bras nous tombent des épaules. C’est ce que nous choisissons. Nous prenons nos coffres et nous sortons nos accordéons « schwyzois ». Tout le répertoire y passe. Nous ne regardons pas l’heure, nous jouons, jouons, jouons…… Heureusement que nous vivons dans un chalet, car la police n’aura pas à intervenir pour tapage nocturne. (Tapage ? nos valses, polkas et autres marches ou tangos ? Un peu dur comme définition !) A point d’heure, ne sentant plus nos doigts ni nos épaules, nous rangeons nos précieux amis dans leur boîte, nous buvons une infusion et nous allons nous coucher. Je dors d’un sommeil de plomb !

Et le lendemain matin, debout comme d’habitude, départ pour l’école. Je travaille dans une école privée située sur la Riviera vaudoise avec des ados que j’adore et qui me le rendent bien. Comme d’habitude, je suis la première arrivée. Comme d’habitude, je mets en route la photocopieuse, je prépare la machine à café (important pour les collègues qui arrivent au dernier moment !) et je photocopie ce que j’ai à faire pour la journée. Je ne dis rien de mon cancer. Inutile d’ameuter tout le monde alors que je ne sais pas ce qui va se passer. Mais une fois en classe, les élèves occupés par un exercice de français, je prépare mon programme en notant quelques points importants à ne pas oublier. Absente, je le serai, mais je ne sais pas dans quelle mesure et je ne voudrais pas retrouver mon travail sens dessus-dessous. Je sais, je suis maniaque…..

L’après-midi, à l’heure dite, nous sommes au cabinet. Nerveux ? Oui…. Inquiets ? Oui…... Des questions ? Nous n’avons que ça……..

Très consciencieusement, le docteur sort une feuille de papier et nous dessine de manière très naïve ( le dessin ne devait pas être son fort en classe !) mon sein droit et ses trois petits pois chiches posés en triangle parfait. Pas très loin de ce que m’avait montré l’écran. Les tumeurs sont petites, chic, pas de chimio ! Non, non, me répond l‘homme de science, la grandeur n’a rien à voir avec l’agressivité des tumeurs. On ne peut rien affirmer d’avance. Une chose est sûre : je conserve mon sein. Il aura une forme un peu spéciale qui ne me gênera pas une fois habillée. Clair, que le sein nu sur la plage, c’est fini depuis belle lurette ! Une chose après l’autre ! Que je déteste ça……. Moi, j’aime quand ça bouge, quand les décisions sont prises rapidement, quand on peut parler d’un avenir proche. Bref, vous l’aurez compris, la patience n’est pas dans ma nature. Il faut toujours que je mette la charrue avant les bœufs. Et là, je me trouve devant un élément nouveau pour moi. Apprendre à attendre. Marcher au pas des bœufs, et les bœufs, c’est pas des bolides ! Leçon numéro 1. Et pas la plus facile, pour moi la bouillante et la battante. Mais ai-je le choix ? Non. Je fais mon poing dans ma poche, bravo ! On parle date d’opération. Quand ? Demain ! dis-je au docteur qui sera aussi mon chirurgien. Nous finissons par trouver une date pas trop éloignée. Dans deux semaines. Oui, cela me convient, ces deux semaines me permettront de préparer le programme pour mes remplaçants. Et ensuite ? Je piaffe. Inutile de ruer, tout dépendra des résultats des analyses des tumeurs. Leçon numéro 2 : les bœufs marchent vraiment très lentement….. et inutile de les pousser, ils n’avanceront pas plus vite. Une chose après l’autre ! Première chose, l’opération. Dans deux semaines.

C’est que dans ma vie, c’est la deuxième fois que je suis confrontée à une maladie grave qui va m’entraver pendant des mois. A l’âge de cinq ans, je m’étais mise à boiter, de plus en plus, à tel point que ma mère, qui n’était pas une mère-couveuse, m’emmena chez un docteur qui m’envoya chez un spécialiste. Après multiples examens et ponctions dans ce genou gauche qui gonflait et me faisait de plus en plus mal, on détecta le mal : une ostéomyélite osseuse. Tuberculose !A l’époque, on en était aux balbutiements de la pénicilline et aucun docteur avisé n’aurait fait confiance à ce produit qui n’avait pas encore confirmé son efficacité. La solution ? Direction Hôpital de l’Enfance, Lausanne. Le docteur était arrivé à la maison sans tambour ni trompette et a dit à maman que je devais immédiatement partir. Pas de chance…….. C’était mon premier jour d’école enfantine, je batifolais dans la cage d’escalier, mon petit sac contenant mes pantoufles en bandoulière. L’école commençait l’après-midi. Il était presque midi. En voyant le docteur monter les trois étages en courant, ma mère a compris que quelque chose se passait. Le docteur n’a pas tergiversé : Il m’a ramassée comme un fagot de paille, a dit à maman qu’il allait tout de suite à l’hôpital de l’Enfance, et que c’est là qu’elle me retrouverait dès le lendemain. Je hurlai, je promis de ne plus boiter, inutile…… Embarquée de force dans la voiture du docteur, je ne fus que hurlements durant tout le trajet.

Je ne garde pas de souvenirs précis de cette période. Je me souviens de ponctions qu’on me faisait au genou gauche, j’en porte encore la cicatrice. Je me souviens aussi d’une grande chambre avec beaucoup de lits, d’une grande terrasse sur laquelle on sortait nos lits chaque matin, et des visites de maman. Ah oui ! Si j’étais sage pendant la ponction, l’infirmière me portait jusqu’aux cuisines et j’avais droit à un petit gâteau. Mais je ne devais pas marcher. J’avais la jambe prise entièrement dans une « gouttière » métallique, donc inutile d’essayer de bouger. Jour et nuit. Et pas question de rentrer à la maison. J’ai connu le sanatorium à Leysin puis dans le Pays d’En-Haut. Maman était native de là-bas et j’avais l’occasion de voir ma famille plus souvent. Nous n’avions pas de voiture.

Lorsque je rentrai à Lausanne, j’avais toujours ma gouttière et je ne devais toujours pas marcher. Mon frère et ma sœur aînés se partageaient la corvée de me promener le mercredi après-midi, pendant que maman faisait un brin de ménage. J’ai tout connu : ma sœur me louait à ses copines pour se faire son argent de poche. Quand c’était le tour de mon frère, il allait au bord du lac, à l’Etang Bourget, sortait la frangine de sa poussette, la posait dans l’herbette avec sa poupée sur les genoux et ma voiture était prise d’assaut pour la transformer en char romain : Ben Hur !!!!

MAIS J’AVAIS MARCHE ET JE VOULAIS MARCHER DE NOUVEAU !

La nuit, maman me détachait la gouttière et régulièrement je faisais travailler mes muscles qui avaient quasiment fondu. Sans rien dire, je faisais bouger mes orteils, puis mes mollets, puis j’essayai de plier le genou, la jambe. J’inventais la physiothérapie……. Je ne sais combien de temps il m’a fallu, mais je me souviens clairement de la nuit où j’ai réveillé toute la maisonnée en hurlant, debout dans mon lit à barreaux ! A partir de ce jour, nous allions maman et moi, toujours dans la poussette, au bord du lac et là elle me faisait me mettre debout, avancer un pied puis l’autre, avec son aide, sans son aide. Un jour je marchai seule et ne tardai pas à courir comme avant…….

Quelle victoire pour une gamine qui avait passé quinze mois clouée dans une voiturette, quelle joie pour une maman à qui on avait prédit que je ne marcherais probablement plus jamais. Si je survivais….. Il était temps de commencer ma deuxième année d’école enfantine, mais avec les mois, les pantoufles durent être remplacées ! Trop petites !

Revenons à nos moutons…….Ah oui ! Novembre 2000 !

Il s’agit maintenant de prévenir mes enfants. Ils savent que d’autres personnes dans la famille sont décédées du cancer. Leur grand-maman maternelle en tout cas. Dans le temps de ma maladie, ils verront décéder ma sœur. Ma sœur a combattu le cancer pendant dix-sept ans. Entre temps, elle s’était complètement remise et vivait une vie pleine d’activités : elle donnait des cours de peinture sur soie, elle a publié une brochure sur le même thème. Sa première opération avait été une couture de cent vingt centimètres, lui enlevant les deux seins qui étaient atteints et tous les ganglions malades. Ma sœur était mon aînée de huit ans et toute la famille la prenait comme modèle. Et il y en a eu d’autres….. des tantes, des oncles, des cousins et des cousines. Nous manquions vraisemblablement d’originalité pour quitter ce monde. Bref, le problème est là, je dois avertir mes enfants. Ma fille se fait un sang d’encre, envisageant le pire. Mon fils, plus pondéré, a du mal à se faire à l’idée de la mère malade. Maman malade ? Une maman qu’on n’a jamais vue malade ? Une maman toujours d’attaque, pleine de rires et de plaisanteries, pleine de vie et de santé……

Déjà enfant, à l’école, je menais un train d’enfer. Toute la classe avait la grippe ? PAS MOI !!!!! J’étais la « transporteuse de devoirs à domicile » à la sortie de la classe. Je caracolais avec dans mon cartable les cahiers et les livres de mes collègues qui connaissaient le bonheur de se faire chouchouter pendant que nous travaillions sous la houlette d’un professeur qui tenait absolument nous faire comprendre le fonctionnement du participe passé avec l’auxiliaire Etre. Que je haïssais ces malades ! J’arrivais chez eux, je les trouvais assis dans leur lit, petite tartine dans une petite assiette à portée de main, un verre de sirop bien en évidence sur la table de chevet. J’ai bien une fois essayé de tromper la vigilance de ma mère en simulant quelque mal secret dont je souffrais le matin avant sept heures. Mais ma mère n’était pas du style à me croire (elle avait raison) et m’envoyait manu-militari en classe en me disant qu’en marchant vite ces douleurs disparaîtraient.

Mes incursions chez les copines malades n’étaient pas régulières. Si tout le monde était en santé, j’étais en congé. Mais dès qu’un virus touchait une seule des têtes de la classe, tout le monde y passait. C’était sournois comme attaque : au milieu d’un cours, un coup frappé à la porte. Nous nous levions d’un seul chœur. Pour voir dans l’encadrement « l’Horizon bleu ». Il faisait des courbettes au professeur en disant que Pierre, Cunégonde ou Jeanne ne viendrait pas en classe, une vilaine bronchite ayant passé trop près de son domicile. Cet homme toujours habillé de bleu lui valait son surnom. Il était concierge de l’établissement et nous ne le supportions guère. Toujours à l’affût dans sa cabine privée, il houspillait quiconque lâchait un papier dans les couloirs en entrant dans le bâtiment. Je me vengeais en vidant du haut du quatrième étage, tout le contenu de la corbeille à papiers de la classe. Et ça virevoltait joyeusement jusque devant la porte du concierge. Allez chercher le ou la coupable ????? Et toc, me revoilà mère-porteuse de devoirs pour plusieurs jours car il y aura bien sûr plusieurs cas. Autrement ce n’aurait pas été assez drôle !

Deux semaines. C’est long quand on a mal aux dents, mais c’est court quand il faut planifier un programme pour une centaine d’élèves. Cette nuit est la plus courte de ma vie. Je ne ferme pas l’œil, assise dans mon lit avec un bloc-notes rempli de graffitis concernant l’organisation des cours et la distribution du travail. Le lendemain matin, départ en cours comme les autres jours. Je suis devant la photocopieuse, seule, lorsque la directrice de l’établissement arrive, tout sourire et pleine de vie ! Tout de go je lui lance : » Bonjour Madame, je dois me faire opérer d’un cancer du sein ! » J’ai cru que la foudre l’avait frappée. Stoppée net dans son élan, elle me dit : Et vous me dites ça comme s’il s’agissait d’enlever une dent de sagesse. ( Je n’en ai plus depuis longtemps !) « Comme tout le monde, elle sait que cela représente une absence prolongée au travail. Pour combien de temps, je ne sais pas encore….(selon les bœufs !) Sa réaction première est de me prendre dans ses bras et là je crois que le barrage de larmes contenues va craquer. Mais il ne craque pas ! J’aime beaucoup cette personne. Elle est humaine, exigeante comme le veut sa position, mais son cœur est plein de compréhension. Elle sera d’un grand soutien pour moi durant toute ma maladie et ensuite, car les choses ne s’arrêteront pas là…

Il faut agir vite. Deux semaines pour préparer mon départ, c’est court. Elle le pense mais ne le dit pas. Je l’assure de préparer le maximum de travail selon mon plan de travail, pour que les remplaçants ne se retrouvent pas à ne pas savoir que faire. Car il y aura plusieurs remplaçants puisque j’enseigne dans plusieurs classes différents programmes. La machine est en route, le compte à rebours est enclenché. Je dresse des listes, je fais des paquets pour la photocopieuse, avec des élastiques et étiquettes pour chaque lot. Et des indications. J’enseigne le français, l’histoire, la géographie, le civisme et la culture générale dans cinq classes. Donc je dois jongler à longueur de journée avec un œil sur l’horloge, mes programmes dans ma mallette et des chaussures qui me permettent de courir sans glisser dans les escaliers ! Tout un programme, mais que voulez-vous, j’aime ça ! J’ai cinquante-sept ans et il y a cinquante ans, je voulais déjà enseigner. Je faisais la classe à mes poupées, plus tard à mes copines. En y pensant maintenant, je me demande jusqu’à quel point elles appréciaient mes cours. ( Pas les poupées, les copines !) Ce jour-là, pendant la récréation, j’annonce la nouvelle aux collègues et chacun y va de son commentaire, mais tous sont choqués qu’une chose pareille m’arrive, à moi, pleine de santé, jamais malade, toujours à rire. Et ils sont sincères. Tous veulent m’aider, me soutenir par une parole ou une tape sur l’épaule. J’en suis profondément touchée. Je ne me savais pas aussi appréciée.

A la fin de la journée, je retrouve la directrice dans son bureau pour faire le point de la situation. Ne sachant pas combien de temps je serai absente (meuh, les bœufs !), on s’organise selon ce que je sais : opération dans deux semaines, pas de cours jusqu’à début janvier. Pour l’instant, certificat de quatre semaines de maladie. Pour la suite, il faut attendre ! ATTENDRE ! PATIENCE ! A savoir : si je dois passer par le stade chimio, ou par le stade rayons, ou par les deux, ou si l’opération suffira. Je ne peux rien avancer de plus avant d’avoir des résultats de l’opération. Dans l’immédiat, je prépare pour 4 semaines. De son côté, la directrice a déjà prévu d’éventuels remplaçants. Nous avançons de concert. Sur la route du retour, j’écoute « Aqua-concert » et je rigole bien avec ces deux lascars inlassables de plaisanteries. J’ai envie d’une pizza. Je donne rendez-vous à mon mari dans notre pizzeria attitrée. Plus de cancer pour ce soir !

Le lendemain, le cortège des remplaçants éventuels commence. Ils viennent voir les classes, me posent des questions, certains assistent à mes cours pour comprendre comment je fonctionne. Les élèves me regardent avec les yeux pleins d’interrogations. Ils ne sont pas encore au courant. Pour les remplaçants, c’est aussi une gageure : ils ne savent pas pour combien de temps ils sont sensés me remplacer. De quatre semaines dans le meilleur des cas, de six mois dans le pire. C’est-à-dire jusqu’à la fin de l’année scolaire.

A la récréation, la question est abordée : que dire aux élèves ? Il est clair qu’ils ne sont pas dupes et ils se doutent que quelque chose se passe. Mais quoi ? Suis-je mise à la porte ? En ai-je assez de mon travail ? Vais-je changer d’établissement ? La direction n’aime pas qu’on discute de sa vie privée avec les élèves. Donc, il ne faudrait pas en parler. Les collègues se récrient : les enfants doivent savoir la vérité, on la leur doit ! La décision me revient. Et je décide d’en parler, de leur expliquer la situation que tout soit clair ! Et quelle surprise ! Deux élèves ont des mamans qui ont passé par là…..d’autres ont une tante ou une cousine qui sont également atteintes. Mais la plus grande surprise me vient de deux enfants qui ont eu le cancer. Le premier quand il était tout petit, il a perdu un œil et porte un œil de verre. Je ne l’avais jamais remarqué et il n’en avait jamais parlé. Un autre a eu un cancer au cerveau et je comprends que les rayons empêchent ses cheveux de repousser. Et qu’il soit plus lent à s’exprimer. Tout à coup je ne suis plus seule…………… Et les questions pleuvent : vais-je être absente longtemps ? Mes cheveux vont-ils tomber ? Qui seront les remplaçants ? Seront-ils sympas ? Car les enfants, quel que soit leur âge, détestent les changements dans leurs habitudes et mes élèves n’échappent pas à la règle. Il leur faudrait des remplaçants pareils à moi, qui enseignent comme moi, qui sévissent comme moi mais qui sachent aussi prendre du temps pour les écouter et rire d’une bonne plaisanterie. Ils voudraient un clone……. Chose impossible. Chacun est différent. Je les rassure en leur disant qu’avec de la bonne volonté de la part des deux côtés, tout se passera bien.

Dernier jour de classe. Deux mamans m’apportent des fleurs, les élèves des petits mots. Chacun me serre la main en me quittant. Tout est prêt, je quitte l’école le plus vite possible. Je suis triste. Triste de leur tristesse. Je suis inquiète. Inquiète pour moi. Une longue route est tracée qui mène je ne sais où.

A la maison aussi les choses ont avancé. Un bon repas m’attend, merci mon mari ! Ma fille est venue au chalet. Elle veut m’accompagner à l’hôpital et passer le week-end avec nous. Elle m’aide à préparer mes affaires et si je l’avais écoutée, j’aurais pris avec moi deux valises ! Elle glisse des petits savons parfumés dans mes vêtements. Et un magnifique renard en peluche que je mettrai sur mon édredon ! Si réel qu’une infirmière de nuit croira qu’il s’agit d’un chat….

Samedi, longue promenade en forêt avec les chiens. J’ai besoin de solitude…..je pleure enfin…… mes chiens restent près de moi au lieu de gambader après les écureuils. Je leur promets que nous retournerons tous les trois à la Cabane des Aiguilles rouges. Assise sur une vieille souche face au splendide panorama que m’offre le Val d’Anniviers, le sommet du Weisshorn, Vercorin et le Crêt du Midi, Nax…..Nendaz… . Puis plus à gauche le bois de Finges et toute la vallée du Rhône qui se perd dans la brume. Je me ressource, je prends des forces. Je m’attarde…

Quand je rentre au chalet, une surprise m’attend ! La maison est chamboulée ! Mon mari a déplacé le salon, il a monté mon lit de ma chambre qui se situe à l’étage du bas, il l’a installé devant la porte-fenêtre qui donne sur la terrasse. Je recevrai le premier rayon du soleil, je verrai les oiseaux venir manger, je pourrai voir les écureuils jouer dans les sapins. Mais c’est aussi la neige que je verrai tomber pendant des mois. Je verrai les dameuses préparer les pistes pendant les heures interminables de mes nuits. En réalité, je dormirai pendant six mois dans le salon. Afin que je sois à l’abri des deux chiens de race malamute débordants de tendresse, il a fermé une partie du salon avec un grillage, une petite porte, un trou dans le grillage pour la chatte ! Je passe ma première nuit dans ma cellule-maladie.

Chapitre II

 

Dimanche quatorze heures, nous sommes devant l’hôpital. Je veux entrer seule. Je laisse mon mari et ma fille partir et je fonce vers mon destin, c’est-à-dire aux admissions ! Quelques questions, un numéro de téléphone au cas où, des papiers à remplir. A la question » de quand date votre dernière intervention chirurgicale », je réponds : en 1962 ! L’appendicite ! Ca fait un bail !

On m’accompagne à ma chambre. Je suis seule. Tant mieux. Je n’ai pas envie de parler. On m’explique pour les affaires de toilette, les serviettes et l’armoire « côté fenêtre ». Je suis au huitième étage et la vue est superbe. La neige a déjà envahi les sommets. J’oublie mes skis et mes peaux de phoques. J’oublie les descentes à toute allure avec mes chiens sur les talons à l’heure où personne ne skie encore ! J’oublie la soupe des Chanoines au col du Grand Saint Bernard. Les stations vont se remplir, les touristes dévaler les pentes, avaler des kilomètres.

A peine installée, arrive mon chirurgien. Il m’annonce que je passe en salle d’opération demain matin à sept heures. Et que l’intervention durera deux heures. Il va m’enlever, outre les trois tumeurs, une chaîne de ganglions afin de les analyser pour y chercher toute trace de cancer. Le « ganglion sentinelle » n’est pas encore assez fiable. Ensuite vient le tour de l’anesthésiste qui m’explique le processus de la narcose. Il me demande si je suis inquiète, je lui réponds que je ne suis pas inquiète, mais terrorisée ! Il me certifie que je ne me rendrai compte de rien, qu’on va me donner un calmant pour aller en salle d’opération. Puis l’infirmière qui arrive avec une chemise sexy ouverte dans le dos, des bas en coton, une culotte en filet, un bonnet en papier. Voilà ce que je devrai mettre demain matin après m’être douchée avec un produit antiseptique. Puis arrive la physio avec une brochure remplie d’exercices à faire dès le lendemain de l’opération pour retrouver la mobilité de mon bras. Et un tas de consignes pour ne pas attraper le GROS BRAS : ne pas secouer du linge par la fenêtre, ne plus jouer au tennis, (je m’en fous car je n’ai jamais tenu une raquette de ma vie) ne pas me promener en laissant balancer mon bras, mais le mettre dans la poche, ne pas tenir mes chiens en laisse avec ce bras, ne pas mettre de pulls serrés aux aisselles. Pour finir, arrive une dame pour m’informer qu’il existe un groupe formé de femmes ayant subi la même opération que moi et qui se réunit pour discuter de nos problèmes. Je la remercie, mais je sais que je ne me mêlerai pas à cette organisation. J’opterais plutôt pour une organisation qui préconise le Tour des Dents du Midi ! Pour me rétablir dans la nature avec la nature. Enfin c’est terminé, j’ai la tête pleine de conseils, j’ai les oreilles qui bourdonnent. Je demande quelque chose pour dormir car c’est assez d’émotions pour la journée.

Chose étonnante, je dors comme un bébé !

L’aube n’est pas arrivée qu’une infirmière vient me réveiller pour me dire de me doucher et de me préparer. Elle m’apporte aussi ce que m‘avait promis l’anesthésiste, à savoir un petit comprimé bleu (non, non, pas de Viagra) pour me détendre, que je dois prendre avec une gorgée d’eau à six heures quarante-cinq exactement. Je m’exécute. Je suis prête, j’ai pris mon comprimé et j’attends…..

« Bonjour, vous êtes en salle de réveil ! Comment vous sentez-vous ? » Je crois rêver. En effet, je n’ai rien vu ni senti ! Je demande l’heure et j’ai froid. On me recouvre d’une couverture chauffée et je me rendors. Comme une marmotte. Le soleil inonde ma chambre. Cette fois je me retrouve ! La salle de réveil, ma chambre, le brouillard se dissipe. Je comprends enfin que c’est fait ! Aucune douleur, seul un gros pansement empêche de bouger mon bras et une perfusion est plantée dans le bras sain. J’ai soif et j’appelle l’infirmière qui m’autorise à boire un peu d’eau. J’ai faim aussi. Mais là, c’est un NON catégorique. Trop tôt. Je me sens plutôt bien ! Et soulagée ! Pas pour longtemps : un besoin de faire pipi me titille méchamment. Que faire ? Je suis clouée dans ce lit. Et mon instinct me dit que si j’appelle l’infirmière, elle me proposera le bassin, dans lequel je n’ai jamais réussi à évacuer mes urines. Mais j’ai assez rendu visite à des malades pour savoir que cet arbre qui me relie à mon bras a des roulettes. Les toilettes sont juste à côté…..très tentant ! Un essai n’engage à rien et personne ne saura. Mon côté combattant se réveille en moi ! Allez, on y va ! Très prudemment, je glisse mes jambes sur le côté du lit, je réussis à m’asseoir. La tête tourne un peu, j’attends assise au bord du lit. Puis la situation se stabilise et je pose mes pieds sur le sol qui ne se dérobe pas. Sage, j’attends de nouveau. Puis bravement, je saisis l’arbre à roulettes, je serre mon bras opéré contre mon corps et je me lève. Ca y est ! Quatre mètres plus loin m’attend la cuvette des toilettes salvatrices ! J’avance tout doucement, pas après pas, je finis par atteindre l’endroit de ma convoitise. Quel soulagement ! Il me semble que ma vessie allait éclater ! Avec la même prudence, je rejoins mon lit, me recouche, remets l’arbre à sa place ! Si facile….. Epuisée par cet effort considérable, je me rendors.

Une voix me parle :  «  désirez-vous uriner ? Voulez-vous que je vous donne le bassin ? » C’est l’infirmière. Inutile de mentir. Je lui réponds que je suis allée aux toilettes il n’y a pas longtemps. Le ciel lui tombe sur la tête. Et si j’étais tombée ? Et si j’avais eu un malaise ? Je réponds en rigolant que rien de tout cela ne s’est produit, que j’ai maîtrisé la situation magnifiquement, etc……. Me voilà sauvée de ce fichu bassin. Elle me recommande seulement que la prochaine fois, je l’appelle pour qu’elle soit présente pendant mes exploits ! Promis ! Tu parles……

Des bruits dans le couloir, des bruits d’assiettes et de couverts. ENFIN ! Je meurs de faim. En effet, j’ai droit au souper, même à un dessert. Bien sûr, je ne veux pas manger dans mon lit comme une malade, alors on m’installe à la table, avec vue sur la ville et ses lumières. Pendant que je savoure mon repas, une visite surprise : le docteur ! Avec un sourire qui fait le tour de la tête. Résultats des examens des ganglions : ils sont sains ! Pas un seul n’est atteint ! On m’a enlevé une chaîne de ganglions pour rien. Donc, une couture sous le bras qui va m’ennuyer pendant des semaines. Et un bras à récupérer, car je ne peux pas le lever du tout. Mais c’est une bonne nouvelle tout de même et nous nous réjouissons tous les deux.

Après le docteur, c’est mon mari qui arrive avec une gerbe de vingt roses rouges ( je rigole, bien sûr ! Il ne m’a jamais apporté la moindre pâquerette !) Mais le soulagement que je lis sur son visage quand je lui annonce que mes ganglions sont sains valent bien une gerbe de cinquante roses ! Il ne reste pas longtemps, je suis fatiguée.

A vingt et une heure, quand l’infirmière de nuit vient voir si tout va bien et si je n’ai besoin de rien, je suis assise en tailleur sur mon lit, en train de commencer les premiers exercices de la brochure pour récupérer mon bras. Elle trouve que je ne perds pas de temps, je lui réponds que je n’ai pas de temps à perdre ! Je lui demande si je peux passer à la salle de bain pour une petite toilette afin de me rafraîchir pour la nuit. Elle désire m’assister, peu convaincue que je puisse le faire moi-même ! Mais je ne veux aucune aide !

Le jour se lève à peine que la vie reprend dans l’hôpital. Température, pression, petit-déjeuner à la table, drain à vider, pansement à changer, nettoyage de la chambre. Tout un remue-ménage en un temps record ! Un progrès : plus de perfusion ! Plus d’arbre, la liberté de mouvements, juste ce bras qui me fait un mal de chien à cause des coutures. Je m’ennuie ferme. L’infirmière me dit que je ne suis pas obligée de rester dans mon lit, que je peux sortir dans le couloir pour faire quelques pas.

Quelques pas ? J’annonce à l’office que je m’absente pour un quart d’heure, je prends l’ascenseur et je descends à la cafétéria, téléphone en poche. Un petit express bien serré, quel bonheur ! Et me voilà, 24 heures après mon opération, à envoyer des «  sms  » à tout le monde en sirotant mon café à la cafète ! Je me sens revivre, c’est merveilleux ! Quand je remonte, un petit bémol qui me fiche un coup de blues : je dois faire une scintigraphie osseuse, une radio des poumons et une IRM du foie à la recherche d’éventuelles métastases. Mince alors. Les métastases. Je les avais oubliées. Bien sûr que ce ne sont pas les tumeurs qui sont les plus dangereuses, mais les métastases qu’elles peuvent produire. Et qui se propagent à grande vitesse dans tous le corps. Mais quand il faut y aller, faut y aller. Pas le choix. On programme ces examens pour l’après-midi. Je ne mange pas beaucoup ce jour-là. On me rassure en me disant que c’est une formalité, que toutes les opérées d’un cancer du sein passent obligatoirement par là. J’ai la trouille. Je commence à paniquer en m’imaginant tous les scénarios catastrophes possibles. POUR RIEN !

Tout va très vite, je passe avec brio tous les obstacles, pas trace de la moindre métastase. Du coup, je regrette de ne pas avoir mangé, car j’ai faim. Heureusement qu’il y a la cafétéria à portée d’ascenseur ! C’est l’heure des visites. C’est fou ce que j’ai comme amis ! Je les reçois dans ma chambre où nous sommes plus tranquilles. Je leur montre les exercices que je dois faire. En peu de temps, j’ai déjà fait des progrès. Car j’utilise chaque instant possible pour mettre en pratique ce que je dois faire. Nous sommes mardi, la journée a passé à une vitesse incroyable.

Mercredi matin, grande visite médicale. Tout le clan des blouses blanches est autour de mon lit. On découvre mes cicatrices, on les commente, on remarque que le drain est presque vide, ce qui est bon signe. On me demande si j’aurai de l’aide une fois rentrée à la maison. A la maison ? Ai-je bien entendu ? J’assure que bien sûr j’aurai plein de monde pour s’occuper de moi. ( Mon mari, mes chiens et mes chats) Les malins ne se prononcent pas quant à mon éventuel retour. Je vais les étrangler….. Et la journée s’étire, je dors un peu, je me promène entre mon étage et le rez-de-chaussée. (expresso, quand tu nous tiens !)

Jeudi matin, alors que je savoure mon p‘tit déj’, les infirmières refont mon lit et avec horreur je comprends qu’elles changent la literie. Je rage : le départ n’est pas pour aujourd’hui. On frappe à la porte : mon docteur ! Il vient vers ma table, me regarde et me demande : « quand voulez-vous rentrer ? » A quoi je réponds : «  tout de suite ! ». Il se met à rire, me tape sur la tête et me dit : « Eh bien, fous le camp ! » Et il demande à l’infirmière d’enlever le drain.

Une heure après je m’en vais, avec des rendez-vous chez mon docteur, chez l’oncologue, chez le radiothérapeute. Il n’est pas encore question de chimio, mais je sais ce qu’est un oncologue…. Et je n’ai plus guère d’espoir d’ échapper à ce traitement de choc !

Midi 7 décembre 2000. Je suis à la maison. Le quatrième jour après l’opération. Que mon lit est bon ! Que l’air est frais ! Et quel silence dans ma montagne !

Chapitre III

 

Quatre jours plus tard, j’ai rendez-vous chez mon chirurgien pour commencer à enlever quelques fils. Et ce jour-là j’ai des indications pour la suite. Après analyse des tumeurs, en tenant compte de mes antécédents, les cancers dans la famille, le docteur me dit que je suis dans le groupe gris. Le groupe gris ? Parce qu’il y a plusieurs couleurs dans le cancer ? Oui. Le groupe blanc est formé de personnes n’ayant jamais eu d’alerte au cancer, pas de métastases, c’est un accident de parcours, seuls les rayons suffisent. Le groupe noir est le groupe des personnes qui ont le cancer pour la deuxième fois avec des métastases. Chimio et rayons. Le groupe gris est le groupe qui a le cancer pour la première fois, sans métastases mais avec des antécédents dans la famille. Ceux-là aussi ont droit à la totale ! Chimio et rayons, avec en bonus un traitement hormonal durant cinq ans. Ben voilà. Heureusement que mon mari est avec moi, car mes jambes sont coupées et j’ai besoin d’un expresso bien tassé.

Deux jours plus tard, rendez-vous avec l’oncologue. Maintenant j’ai l’impression d’être un train sur des rails et que je n’ai plus qu’à suivre. Il me propose une série de douze chimio à raison d’une chaque deux semaines. Faites le compte, je l’ai fait mille fois. Douze fois deux est égal à vingt-quatre. VINGT-QUATRE ! Vingt-quatre semaines équivalent à quatre-cinq mois. Une éternité. Bien sûr que ces quelques mois seront suivis de trente-sept séances de radiothérapie. Selon mes calculs, j’aurai tout fini fin juillet. Youppie !!!  L’oncologue a déjà sorti son agenda pour fixer les dates. Il me demande quand je veux commencer. Tout de suite ! Le plus vite possible ! Ne rallongeons pas ! Nous nous mettons d’accord sur la date du 20 décembre 2000. Ca va vite, je suis contente. Je veux m’en sortir ! Je m’en sortirai !

A la maison, je dessine une horloge en carton et je colorie chaque période de cinq minutes de couleurs différentes. Avec une seule aiguille, la grande. Cinq minutes représentent une chimio. N’y a-t-il pas douze fois cinq minutes dans une heure ! Je me motive au maximum. Il n’y a que ça à faire. La motivation !

Je téléphone au travail pour annoncer mon absence de 6 mois. La directrice m’annonce que tout va bien avec les élèves, je ne dois pas me faire de soucis. Le lendemain nous descendons à la Tour-de- Peilz avec mon mari avec un carton rempli de pains au chocolat que nous avions commandé la veille! Pour les élèves et les collègues ! Quand la voiture se parque devant l’école, les élèves se ruent sur les fenêtres en me faisant une ovation formidable qui m’émeut au plus haut point. Personne ne m’attendait. Je fais le tour de mes classes en distribuant mes « récrés » et nous finissons à la salle des maîtres autour de la machine à café. Je fais la connaissance de mes remplaçants. Je ne pose pas de questions quant au travail. La directrice me demande s’il ne serait pas possible que je supervise les cours de français, car fin juin, il y a le certificat de fin d’études secondaires. J’accepte. Ce qui fait que je ne serai pas complètement coupée du travail, ce qui me prouvera que je suis capable de faire quelque chose de productif pendant ma chimio, ce qui confirmera ma volonté de vivre !

Arrive la date du vingt décembre. En fait, tout est allé à une vitesse incroyable depuis le coup de fil du « type qui ne s’annonce pas au téléphone ». Je ne sais pas devant quoi je vais. Tout ce que je sais, c’est qu’une chimio est un traitement lourd, et que je serai vraiment mal pendant des semaines. Mon mari est avec moi. Je lui dis de m’attendre à la cafétéria, le temps que j’aille « faire ma chimio ». En effet, je ne sais rien du processus !!!!! J’arrive à l’étage, on me donne un lit, on me dit d’enlever mon pantalon pour être plus à l’aise. Un lit ? « Un instant ! » cela veut-il dire qu’il ne s’agit pas d’une simple piqûre ? « Non, me dit l’infirmière, on va pour commencer prendre du sang, l’envoyer au laboratoire pour analyser si les globules blancs sont assez nombreux, attendre le résultat et ensuite on commencera le traitement ». Je lui dis que mon mari m’attend en bas. Elle rit et me conseille d’aller boire un café avec lui après la prise de sang, de lui dire que je l’appellerai cet après-midi quand il pourra venir me chercher. Bref, de remonter d’ici une heure ! Oups, je comprends que ce sera plus long que prévu et j’obtempère.

En remontant, j’achète une ou deux revues, histoire de passer la journée et un carnet de mots croisés. Quand j’arrive dans la chambre, il y a déjà l’arbre à perfusion qui m’attend à côté de mon lit. On me demande de passer aux toilettes, parce qu’après je serai constamment reliée à cet engin. L’infirmière arrive avec le sourire en m’annonçant : feu vert ! Ce qui veut dire que l’analyse sanguine est bonne, que la chimio peut commencer. Des perfusions pendent aux branches nues de mon arbre. Je demande pourquoi il y a plusieurs bouteilles. Je dois passer pour une idiote, mais j’aime bien savoir ce qu’il va se passer. Voilà le programme de la journée : 1 : perfusion de solution à base d’eau pour laver la veine. 2 : perfusion d’antibiotiques. 3 : perfusion d’eau pour rincer l’antibiotique. 4 : perfusion contre les nausées. 5 : perfusion pour rincer la veine. 6 : perfusion de globules blancs (anticorps). 7 : perfusion pour rincer la veine. 8 : CHIMIO !!!!! Et ce n’est pas une perfusion, mais une injection ! 9 : perfusion pour rincer la veine. Il y en a encore combien ? C’était la dernière ! Et maintenant ? Il faut attendre le passage de l’oncologue afin qu’il me donne une ordonnance pour des médicaments contre les nausées. Je suis un peu soûle…. Il est quatorze heures quand le docteur arrive. C’est un homme calme, tranquille, rassurant. Je le trouve sympathique parce qu’il ressemble à mon neveu….. On se cramponne à ce qu’on peut ! Il me dit que je vais être très fatiguée pendant quelques jours, que j’aurai des nausées, des vomissements, des vertiges et plein de trucs fantastiques. Je lui demande si je vais voir des éléphants roses, il paraît que non….. Mince alors. Ca aurait été le truc le plus drôle……donc, pas d’éléphants roses. Il m’assure que tout va bien se passer et qu’en cas de problèmes j’appelle le service d’oncologie. Il me serre la main en me donnant rendez-vous pour dans deux semaines pour la suite ! Je téléphone à mon mari pour qu’il vienne me chercher.

Les onze fois suivantes, je descendrai moi-même avec la voiture, ce sera plus simple. Je ne suis pas malade, je soigne juste un cancer……

Quelques courses en rentrant, de quoi remplir les armoires pour les mauvais jours. J’achète plein de choses dont je pourrais avoir envie et qui passeront de date dans le frigo. Ce soir, riz au curry….. Je profite pendant que j’ai faim et pas de nausées ! Je me pose la question : ai-je vraiment eu une chimio ce matin ? Je me régale ! Des nausées ? Tu parles. Rien ! On regarde une vidéo marrante pour meubler la soirée. Je réponds à quelques coups de fil en disant que je me sens en pleine forme. Puis une douche et au lit ! Je m’endors tout de suite. Quand je me réveille, le soleil arrive sur mon lit. Donc il doit être presque neuf heures. Je ne crois pas avoir dormi autant depuis longtemps.

Je prends mon petit-déjeuner comme d’habitude. J’ai faim comme d’habitude. C’est toujours la fringale qui me réveille le matin. Mais ce matin, il y a quelque chose qui cloche : la confiture a un drôle de goût. MA CONFITURE ? Un drôle de goût ? Relevons que je suis une passionnée de confitures : je reçois un kilo de pommes, je fais de la gelée. Je fais de la confiture ou de la gelée avec tout ce que je trouve. Je fais des mélanges avec des fruits différents, bref, mes confitures sont connues dans toute la famille. Ce matin, c’est la confiture d’abricots. Et c’est vrai, elle a un arrière- goût. Je pose la question à mon mari qui m’assure que je me fais des idées. Pas convaincue, je mange un bout de beurre, et c’est pareil ! Le beurre a un goût bizarre. Cette fois je ne pose pas la question à mon mari qui va me prendre pour une folle. Discrètement, je mange un bout de pain tout seul : idem ! Non, je ne suis pas folle, non, je ne me fais pas des idées, toute la nourriture a le même goût, même le café. Un goût indéfinissable, que je compare à un bout de fer rouillé. Je vais boire un verre d’eau, mais la rouille est dans toutes mes papilles. Je ne sens plus le goût des aliments, seulement celui d’un clou rouillé dans ma bouche et tous les aliments en sont imprégnés. Beurkkkkk ! Je comprends que c’est un début des effets secondaires de la chimio. Ce n’est pas sur la liste dressée par le docteur. Surprise, surprise !

Pourtant, je me sens très bien. Je fais du ménage, comme les autres jours. Et la matinée s’écoule normalement, mis à part ce clou rouillé qui persiste à rester dans ma bouche. Des bonbons à la menthe ! Voilà ce qu’il me faut ! Hier, je n’y avais pas pensé ! Mais comment aurais-je pu savoir qu’il me faudrait des bonbons à la menthe ? Mon idée tourne à l’obsession. Mon mari monte à la station, se trouve une place de parc avec une peine énorme vu que nous sommes en pleine saison d’hiver, que les skieurs squattent les places devant le magasin, et va chercher des bonbons à la menthe. Le magasin déborde, mon époux fait la queue pendant 15 minutes, et revient au chalet glorieusement avec la solution-miracle. Désillusion : les bonbons n’ont plus le goût de menthe, mais de clou rouillé. Je comprends que je dois apprendre à vivre avec mon clou. Vers midi, je prépare une salade mêlée très appétissante mais de savoir qu’un clou est caché quelque part dans mon assiette me coupe l’envie d’y toucher. En fait, je n’ai pas faim. Je dirais même que mon estomac est rempli avec un caillou. C’est lourd, un caillou ! Il me pèse comme une presse. Je préfère aller dormir. Avec mon clou et mon caillou !

Sur le coup de dix-huit heures, une odeur me soulève l’estomac : c’est mon mari qui prépare le repas. Quelle horreur ! Que cette odeur me dégoûte ! J’ai des nausées simplement de respirer l’odeur d’oignons rôtis. Je me cache la tête dans la couverture, mais l’odeur s’infiltre partout. Et mon mari de m’annoncer : le repas est servi ! Comme dans les séries télévisées ! Une assiettée de bons röstis bernois m’attend sur la table. Bien gras, cuisinés au beurre, avec des lardons et des oignons. Là je crois que je vais vomir…. J’estime en un clin d’œil la distance qu’il me faut parcourir pour arriver à temps à la salle de bain. Eh bien non, je ne vomis pas, je ne vomirai jamais durant ces interminables semaines de chimio. Je me contenterai de nausées que j’essaierai par tous les moyens de combattre, en vain. Je résume ma situation pendant que mon mari mange et que je retourne dans mon lit : pas de nausées, mais clou rouillé et caillou dans l’estomac. Ce sera long.

Je reste une semaine sans rien manger de solide. J’essaie un demi- yoghourt, une cuillérée de pommes de terre purée, des infusions pour ne pas me déshydrater, le quart d’une poire. Mon époux désespère. Il aimerait me cuisiner des petits plats, car il ne cuisine pas que des röstis bernois dégoulinant de beurre, mon mari ! Il cherche dans les livres de cuisine ce qui pourrait bien me donner envie de manger. Mais tous ses efforts sont vains, je suis navrée pour lui. Pendant six jours, je suis une larve. Pour ma toilette, il me faut un siège dans la douche autrement je ne tiens pas debout. Quand je reviens de la douche, je suis de nouveau trempée de sueur par l’effort fourni. Me rendre à la salle de bain pour mes besoins urgents me demande une énergie que je n’ai plus. ( Non, non, je n’ai pas besoin de pampers tout de même !) M’habiller ? Loin de moi cette idée. Je reste en t-shirt toute la journée, avec juste assez de force pour en changer quand celui que je porte est trempé de sueur. Lire ? Les lignes que je voudrais lire sont comme un ressort qui se tend et se détend. Impossible de lire. Le ménage ? J’ai embauché une dame qui vient chaque semaine.

Pas beaucoup plus drôle pour mon mari qui vit avec une personne qui ne répond que par des grognements inaudibles à ses questions, quand elle y répond….. Qui dort toute la journée, qui soupire son exaspération. Il est d’une patience infinie. Parfois il me force à sortir en me disant «  les chiens aimeraient bien courir dans la forêt ! Viens, je te soutiendrai, mais on va marcher et s’aérer pendant quinze minutes. » Et le voilà qui m’aide à m’habiller, à mettre mes bottes puis nous partons. Souvent, je ne peux pas faire le chemin du retour et il doit aller chercher la voiture pour me récupérer. Quand on vit à deux, c’est difficile pour chacun de vivre des périodes pareilles. Mais il est toujours là. Pas un jour il ne part faire une virée alors que je suis au lit.

Le huitième jour, j’ai l’impression de sortir d’un tunnel. Les effets secondaires, ça part comme ça vient ! D’un jour à l’autre ! Je sens que je reviens à la vie entre le 28 et le 29 décembre. Noël est passé. On n’avait rien prévu. Mais pour le trente et un décembre, fête au chalet ! Je suis presque en forme. Mes enfants organisent une fondue chinoise avec un dessert glacé. Je me régale, bien que mon clou soit toujours présent. Et on va sur la terrasse pour assister aux feux d’artifice dans toute la vallée ! Les chiens n’apprécient pas. On les enferme avec de la musique afin qu’ils ne soit pas trop perturbés par les tonitruantes fusées de nos voisins vacanciers. Nous, on s’amuse ! On sort le champagne ! Tout autant pour fêter la nouvelle année que la fin de ma première chimio ! Je vais à mon horloge en carton et je pousse l’unique aiguille sur le chiffre 1. Une de faite ! PLUS que onze ! ENCORE onze rectifie mon défaitiste de mari. On ne se refait pas. A la fin des feux, nous sortons nos accordéons et jouons quelques pièces sur la terrasse pour nos voisins belges qui se mettent à danser. Nous voilà en 2001 ! L’ambiance est à la joie, au plaisir d’être ensemble, au bonheur de croire à ma guérison !

Chapitre IV

 

Deuxième chimio le 3 janvier 2001….. J’y vais seule, avec un cornet de croissants pour les infirmières et moi, que nous mangeons en attendant les résultats sanguins. On me pèse. J’ai perdu quatre kilos. Je flotte dans mes pantalons. On me change mes médicaments contre les nausées, mais je connaîtrai le même problème jusqu’à la fin du processus. Mais au moins cette fois, je sais à quoi m’attendre. Ce sera la même chose pour chaque chimio : nausées, clou rouillé, fatigue et caillou sur l’estomac. Il paraît qu’on s’habitue à tout, du moment qu’on nous laisse le temps !

La deuxième semaine du traitement, celle que j’appelle la « bonne semaine », je vais deux fois en classe. Quatre heures par jour. Deux le matin et deux l’après-midi. Folie ! me dit mon toubib…….. Espoir ! que je lui réponds…… Mais j’ai besoin de changer d’air, de voir du monde, d’entendre rire, de quitter cet endroit pour quelques heures. Là aussi, ma directrice est admirable. Elle s’évertue à tout faire pour que je me sente bien. Je reprends les cours d’histoire et de culture générale. Ce sont des cours qui ne me demandent pas grandes préparations, mais beaucoup de satisfaction. Tout est à peu près à photocopier des années précédentes, pas trop de tests à corriger, pas d’examen au bout de l’exercice. Et le plaisir de me replonger dans l’ambiance de ma classe qui n’est plus vraiment ma classe puisque je dois la partager avec les autres collègues remplaçants. Mais je me suis gardée un endroit pour y déposer mes affaires. Les enfants me bombardent de questions. La première : vos cheveux sont-ils tombés ? Cette chute de cheveux les tracasse énormément. Voir un homme au crâne rasé ne les dérange pas, mais une femme sans cheveux….. Ce n’est pas courant, c’est anormal. Comme quoi la chevelure de la femme reste un apanage propre à elle seule ! Ils sont très déçus lorsque j’enlève mon bonnet ( c’est l’hiver tout de même) et qu’ils voient que je n’ai pas changé d’aspect ! Mais l’espoir subsiste : Y tomberont alors jamais ? Hélas, non ! Ils sont restés, ils resteront ! La déception se lit sur leur visage. Nous ne partageons pas du tout la même manière de voir les choses ! J’échangerais bien volontiers mes cheveux contre mon clou rouillé…..Puis viennent les questions subsidiaires : Vous avez eu mal ? Vous avez eu beaucoup de piqûres ? Vous serez malade à chaque fois ? Vous reviendrez chaque deux semaines ? Mais on en revient toujours au point crucial : SI vous aviez perdu vos cheveux, vous auriez mis une perruque ? Non. Pourquoi ? Parce que je n’aime pas les perruques….. etc, etc…..

Ces deux jours-là, les cours ne sont pas très productifs, mais nous avons beaucoup partagé, parlé maladie, enfants cancéreux, et tout cela entre dans la case « culture générale » malgré tout. Je sens que les prochains cours seront axés sur la radioactivité. Il va falloir que j’adapte mon programme, car en histoire générale, tout fait qui se déroule entraîne un enchaînement à cultiver. La radioactivité ? Magnifique thème pour quelques semaines. Qui ? Quoi ? Comment ? On va chercher ensemble les réponses à nos questions dans les dictionnaires et sur Internet pour ceux qui la possèdent. Tout, tout, tout, nous saurons tout sur la radioactivité ! Pierre Perret ne m’en voudra pas d’avoir saccagé sa chanson ! Mais les cours de culture générale, c’est comme ça que je les aime : exploiter quelque chose de nouveau, quelque chose de vivant, et non pas apprendre par cœur des dates inutiles dont on ne se souviendra pas dans une année !

Bilan de ces deux jours de classe à temps réduit : Excellent !

J’annonce aux élèves que je commence une nouvelle cure de chimio et que je leur donne rendez-vous pour dans deux semaines. Avec pour consigne de se renseigner sur la radioactivité.  Et je commence ma troisième étape. J’avance l’aiguille de mon horloge d’un cran. J’ai fait dix minutes, bientôt quinze, bientôt le quart d’heure ! Courage !

De période en période, rien ne change. Toujours la même chose, les perfusions à mon arbre, le clou rouillé dans la bouche, les nausées, la fatigue, le caillou sur l’estomac. Mais les rires de mes élèves me sont d’un immense secours. Quand tout va mal, j’ai une raison de me réjouir. Ils sont tous avec moi. Leur joie de vivre me fait du bien. Leurs questions aussi. Aline m’apporte un bouquet de narcisses qui fleuriront chez moi. Oui, l’hiver est parti, le printemps est revenu. J’ai cru qu’il ne reviendrait jamais. Des flocons de neige, je peux vous assurer que j’en ai compté je ne sais combien de millions ! Et les oiseaux dans la mangeoire se chamaillaient pour avoir le butin le meilleur. Pourtant la cabane est grande ! Et elle est toujours pleine ! Au mois de mai, le soleil se lève plus tôt, se couche plus tard. Les oiseaux chantent dans les taillis. Nos chats guettent les petits ! Et nous guettons nos chats ! Touchez pas à nos p’tits zozios !

ENFIN arrive le seize mai…… jour de ma dernière chimio. Il reste cinq minutes sur mon horloge en carton, et elles seront les plus longues. Ce seize mai marque aussi la fin de mon travail à temps réduit en classe. Car maintenant, il faut enchaîner avec la radiothérapie pour sept semaines. Mais j’ai un temps d’arrêt entre les deux traitements. Et là, le docteur est intransigeant : repos, plus question d’aller en classe. Du reste, les examens ont lieu fin juin et je ne suis plus concernée, mise à part ma supervision des examens de français. Je suis bien, je cours la montagne avec mes deux malamutes, nous glissons sur les névés. Et c’est justement à cette époque qu’un événement se produit. Je me rends compte que l’un de mes chiens boite d’une patte avant. Bah ! me dis-je, il a tellement couru avec sa soeur qu’il s’est fait une entorse ! Il s’est tordu la patte dans un trou de neige ! Mais la boiterie s’accentue avec en plus une boule sur la patte qui grossit. Je me rends chez le vétérinaire, inquiète pour mon Doudou. Narcose, radios, résultats : trois tumeurs osseuses sur la patte avec certainement des métastases un peu partout au vu de leur grosseur. Que faire ? Couper la patte ? A un chien qui n’a rien connu d’autre que de courir dans les montagnes ? En parfaite liberté ? EXCLU ! Le vétérinaire me dit de simplement cesser toute activité forcée, de bien l’observer. Il m’assure que le chien ne souffre pas trop, il me donne des antidouleurs et je m’adapte à vivre avec mon chien invalide. 

Nous raccourcissons nos promenades, puis nous les supprimons, allant en voiture à un endroit qu’il aime, nous l’aidons à descendre de voiture, il fait ses pipis, nous l’aidons à remonter dans la voiture. Un matin, nous lisons dans ses yeux ce message : « j’en ai assez ! » Je téléphone chez le vétérinaire. Nous descendons, il fait une piqûre anesthésiante au chien dans la voiture et la piqûre finale dans la voiture également. Doudou s’était endormi en descendant, manifestement content de ne plus avoir à continuer à vivre dans ces conditions. Nous lui avons dit et redit qu’il avait été un merveilleux chien et nous l’avons laissé. Le véto ne s’était pas trompé quand je lui avais demandé pour combien de temps il en aurait : quatre à six semaines. Nous avons beaucoup pleuré. Nous nous retrouvons avec Nora, chien unique. Tout le monde nous avait dit qu’elle ne supporterait pas cette disparition, qu’elle se laisserait mourir de n’avoir plus son chef de file. C’était notre souci. Hé bien pas du tout !!!! Elle s’est habituée tout de suite à sa nouvelle position : Toute seule, on pouvait la prendre au restaurant et à l’hôtel. Plus de frangin pour lui interdire ceci ou cela….. Elle a fait les semaines de musique avec nous, elle a vécu sa nouvelle vie pendant quatre ans encore.

Pourtant, j’ai un rendez-vous important hors-cancer le 30 mai : un engagement musical pour la journée. Le contrat est rempli depuis le mois de mars. J’avais bien regardé les dates et le 30 mai est un jour de la « bonne semaine ». De la dernière « bonne semaines. » J’ai aussi un contrat à Saas-Fee dans un hôtel pour 4 heures de musique par jour. Musique pain-fromage pour les touristes. Non, je vous interdis de dire qu’il y a davantage de pain que de fromage et que le pain est rassis ! Notre répertoire est (assez) bon….Nous commençons le 8 août. Si je n’y vais pas, je dois trouver un orchestre pour nous remplacer. Et les orchestres folkloriques, au mois d’août, il n’y en a pas beaucoup de libres. Même pas ceux qui ont du pain rassis ! Donc, pas moyen de reculer, d’autant plus que nous allons dans cet hôtel animer depuis 6 ans été et hiver. Mais ça, je ne l’ai pas dit aux docteurs. Sans oublier que le premier lundi de septembre, je reprends le collier à l’école et il faut que le programme soit établi.

Donc le seize mai, je me rends à l’hôpital pour la dernière chimio. Je n’y crois pas….. dans la voiture, je chante comme une folle (les fenêtres sont fermées) « elle descend de la montagne sur son cheval de bois….. elle va faire sa chimio sur son cheval de bois…… elle apporte les croissants sur son cheval de bois….. »

En sautillant, mon habituel cornet de croissants sous le bras, j’arrive à l’étage : « bonjour tout le monde ! » Comme une vieille habituée, je m’installe dans mon lit après avoir passé aux toilettes. Comme d’habitude, on me fait la prise de sang pour contrôler ces fichus globules blancs. Comme d’habitude, on mange les croissants en buvant un café. L’humeur est au beau fixe. Il y a si longtemps que j’attends ce moment, ce jour, cette heure…… du courage, il m’en a fallu. De la patience aussi. De l’espoir encore davantage !

Le résultat de l’analyse est arrivé. HELAS…… Adieu veaux, vaches, cochons…… les globules blancs ne sont pas assez remontés. Ils sont à la limite et les docteurs hésitent fortement à se lancer dans une chimio qui descendra encore mes anticorps et me menacera de septicémie. Je serai la proie de tous les virus pendant dix jours. Les docteurs se concertent devant moi et proposent d’attendre une semaine supplémentaire pour attaquer la dernière. Mais qu’est-ce qu’il leur prend, à mes globules blancs ? Ca va pas la tête ?  Ils ne m’ont jamais fait un coup pareil ! Moi, je ne pense qu’à une chose, bien sûr : une semaine supplémentaire et tout mon programme de musique s’écroule. Je ne serai plus dans les temps ! Il me faut cette chimio !!!!! Les docteurs me disent qu’ils n’ont jamais vu une patiente réagir de cette manière. En général, elles disent :  « Chic, une  bonne semaine de plus, quel cadeau ! » Et en voilà une qui veut refuser ce cadeau. Bien sûr, ils ne connaissent pas mes projets. Ils rigolent. Je m’énerve. Chacun tire la couverture de son côté. Eux, ils veulent une semaine de plus, moi, je veux cette dernière chimio aujourd’hui. Il y a assez de croissants, du café en permanence et nous finissons par nous mettre d’accord : OUI, je resterai au chalet pendant dix jours après la chimio, les plus dangereux, car c’est à ce moment-là que les globules descendent, me rendant terriblement vulnérable. NON, je n’irai pas faire des courses, j’enverrai mon mari. D’ACCORD, je ne recevrai aucune visite. NO PROBLEM, le service médical viendra me prendre du sang tous les trois jours. J’AI GAGNE !

Je sais que j’ai une tête de mule, je suis obstinée comme une bête. Et je déteste qu’on défasse mon puzzle si bien arrangé. Mais parfois, c’est quelque chose qui rend service ! La preuve ! A seize heures, je repars de l’hôpital avec un masque de chirurgien sur la figure. OUF !

Les dix jours passent comme toujours, clou rouillé, caillou sur l’estomac, nausées etc…………..Mais j’accepte tout ! J’ai enlevé l’horloge en carton et je l’ai brûlée dans l’âtre.

Vingt-six mai. Tout est fini, enfin la première partie de mon traitement. Ce matin-là est lumineux. Je dois partir en montagne, chose que je n’ai plus faite depuis l’automne. Les touristes sont partis, les installations fermées, plus personne dans la station : saison morte. Mais pas pour moi : saison de renaissance ! Je mets mes chaussures de marche dans la voiture, j’embarque Nora, ma chienne restante, je monte par les chemins d’alpages jusqu’au restaurant d’altitude qui surplombe le village. Le chemin a subi d’importants dégâts et ce n’est qu’avec un véhicule équipé de quatre roues motrices qu’il est possible d’arriver là. Je lâche la chienne. Ivre de bonheur après un hiver assez monotone, elle joue, court et saute pendant que je lace mes chaussures. Puis nous montons en direction de la neige. Nous sommes trop tard dans la saison pour la parade des coqs de bruyère. Nous reviendrons les admirer le printemps prochain. La neige n’a pas fondu depuis longtemps. L’herbe nouvelle pointe vers le soleil. Nous marchons dans un champ de gentianes et de trolls. Des violettes sauvages, des primevères, des anémones dans les endroits marécageux, puis à la limite des premiers névés, les crocus. C’est blanc de crocus !  Nous grimpons entre les névés, puis les espaces verts deviennent plus petits, plus rares, puis il n’a y plus d’espaces verts. Nous sommes au pied de La Combe. Un désert blanc. Pas un bruit. Je choisis un petit rocher pour m’asseoir. Et respirer….. Et écouter….. Et regarder…… Nora se glisse en bas des névés, sur le dos, la tête contre la pente. Elle prend de la vitesse. Arrivée au bas du névé, elle remonte. Inlassablement. Elle boit à la cascade délivrée de son manteau d’hiver. Elle saute de roche en roche, joyeuse et libre, éclate de rire dans le soleil. Les marmottes nous ont repérés et sifflent à qui mieux-mieux pour avertir leurs compagnes qu’un groupe s’est installé tout près de leurs terriers. La chienne, trop occupée à jouer, ne se donne pas la peine de les regarder. Pourquoi perdre du temps à courir après des animaux plus rapides qu’elle qui disparaissent dans des trous avant qu’on ait pu les rejoindre ? Les choucas volent en groupes en espérant que je sorte d’un sac du pain pour eux. Mais je n’ai rien pris. Je ne suis pas venue pour les choucas, je reviendrai avec un festin dans pas longtemps ! Tout en haut, vole un aigle. Il est seul. Il n’est pas mature. Ce doit être un petit de l’année dernière, car il a sous les ailes de larges taches blanches. En général, ils volent en couple, mais celui-là n’a pas encore de compagne. Il plane majestueusement comme seuls savent le faire les aigles. Il s’intéresse aux jeunes marmottes qui jouent sur les cailloux sous la surveillance d’un animal adulte. L’aigle n’a aucune chance….. A deux, l’un fait diversion, attire l’attention du gardien à l’est tandis que l’autre plonge sur la marmotte hors surveillance qui se trouve à l’opposé. Et avec un chien à proximité, il y a double surveillance, ainsi que de la crainte. Les marmottes peuvent s’amuser tranquillement ! Un avion passe, très haut, laissant sa traînée blanche s’effilocher dans le bleu du ciel. Quel calme…… tout en bas, la vallée du Rhône et le fleuve qui scintille. A mi-hauteur, la station. Je me sens si petite devant cette immensité. Et si légère ! Et si libre ! Et surtout si heureuse !

Je me mets debout sur mon rocher et je crie à pleins poumons, aussi fort que je peux : « J’ai fini ma chimio ! J’ai fini ma chimio ! » Et l’écho me répond…..C’est un instant de pur bonheur, le premier jour du monde ! Je descends à la cascade et je trempe mes mains : c’est froid, c’est doux, c’est vivant. Je prends de la neige pour me rafraîchir le visage. Je suis seule, coupée de tout. Mon téléphone m’attend dans la Justy. Je n’aurais pour tout l’or du monde ne pas voulu être interrompue dans mes pensées. J’avais besoin de ce moment-là.

Je reprends le chemin en sens inverse, en courant, en glissant, en tombant, en riant. Nora sent que quelque chose est différent, que tout redevient comme AVANT.  Sur la terrasse déserte du restaurant, une petite pause : une petite prière. Merci mon Dieu d’avoir été avec moi tout ce temps ! Et une minute de silence pour notre brave Doudou qui nous regarde depuis le paradis des chiens. Un regret : nous ne sommes plus remontés à la Cabane des Aiguilles rouges……PAS SANS DOUDOU !

Puis retour au chalet, appétit d’ogre, pique-nique et dodo sur mon canapé favori !

Chapitre V

 

Le lendemain, une triste nouvelle assombrit mon horizon : Mon père a été hospitalisé. Vrai que son grand âge le lui permet : il a eu nonante ans en janvier ! Ce qui ne l’empêchait pas de repeindre ses volets juché sur une échelle ! Une santé de fer. La seule fois qu’il avait été à l’hôpital, c’était pour se faire opérer de la cataracte il y a dix ans, car porter des lunettes « le vieillissait » ! Pure coquetterie ! Mais cette fois c’est sérieux. Il a fait une attaque cérébrale et est resté aveugle. En plus son état mental a décliné très subitement. Alzheimer ou maladie s’y rapprochant. Nous allons le voir. Pitié ! Quand nous arrivons, il est assis et endormi dans un fauteuil roulant, en robe de chambre. Nous qui ne l’avons connu que dans des salopettes remplies de peinture et de colle. Je le réveille tout doucement. Il revient de la physio. C’est l’heure du repas et nous nous proposons pour lui donner à manger, car tout seul il n’y parvient pas. Mais ce jour-là, il n’est pas avec nous. Il est dans un magasin de chaussures en train de se plaindre que les cartons contenant les chaussures ne sont pas à leur place. Il n’en sort pas de tout le repas, mais il mange. Nous retournons tous les deux jours sur le coup du repas de midi. Parfois, il se souvient de notre enfance, de notre petit chalet, et on le fait rire en lui racontant des souvenirs cocasses. Il dit : « oui, oui, je me souviens ! » Et il rit, et nous avec….. On ne sait jamais comment on va le trouver, mais nous allons tous les deux jours pendant plusieurs semaines. Parfois il veut dormir, et nous lui parlons. Je lui dis : « papa, si tu me comprends, serre ma main ! » Et il la serre… Nous ne pleurons jamais devant lui, mais nous savons que la fin est proche. Nous lui disons que nous l’aimons ! Lors de notre dernière visite, il dormait….. enfin, le croyait-on. Je me suis assise à côté de lui en lui répétant qu’il avait été le meilleur papa du monde, que bientôt il reverrait son Yvonne chérie qui l’attendait au ciel. Il n’avait aucune réaction, mais je lui parlais tout de même. Avant de partir, je me suis approchée tout près de son visage et je lui ai dit : Papa chéri, je voudrais que tu me fasses un bisou. Je lui ai tendu la joue et……il me l’a donné, son bisou d’adieu ! Quel bonheur ! Donc il avait tout entendu et tout compris ! Ce fut mon plus beau cadeau car personne d’autre n’avait pensé à le faire ! Je suis repartie sereine, et le lendemain matin il ne s’est pas réveillé.

Anne Pugin et son papa Jean Gloor (probablement 1983, 40 ans Anne)

30 mai 2001

Pari tenu, contrat honoré, engagement musical tenu ! Personne n’y croyait, sauf moi avec ma tête de bois dur ! Car quand Je décide quelque chose, je m’y cramponne comme un chien à son os. Et cet os, c’était cette prestation de musique que j’avais acceptée au mois de mars alors que j’étais en plein brouillard de mes chimiothérapies. Ce contrat représentait beaucoup pour moi : que je saurais être « d’attaque » au bon moment. Les médecins m’avaient dit : dernière chimio le seize mai. Donc, selon mon raisonnement, après sept jours je devais pouvoir remplir un engagement pour tourner la page tumultueuse de ces dernières vingt-quatre semaines. Seize et sept faisant vingt-trois, dès le 24 mai je savais que je serais de nouveau productive ! J’ai gagné !!!!

Le matin de la fête, c’est tout de même la finale romande de lutte suisse, il fait une chaleur épouvantable. Dès huit heures le matin, le thermomètre atteint déjà des pics hors norme pour la saison. Nous trouvons difficilement une place de parc, en fait, nous nous parquons exactement là où il est interdit de se parquer….. Nous sortons nos instruments de la voiture. Nous sommes quatre : trois à l’accordéon schwyzois et notre contrebassiste. L’arène est déjà bondée. Les gradins pris d’assaut.

Au centre, cinq cercles dans lesquels se dérouleront les combats. Des cercles bien dessinés, et remplis de sciure. Le but du jeu est tout à fait alpestre. Et nourrissant ! Deux joueurs s’affrontent, se tournent autour comme deux lions, se dévisagent, se jaugent du regard. Chacun porte un short en coton tenu à la taille par une ceinture. Et soudain, c’est l’attaque. On se prend par la culotte, par la ceinture, on tente de faire basculer l’adversaire en le couchant sur le dos. Celui qui gagne est celui qui réussit à mettre l’autre concurrent sur le dos, les deux épaules par terre. Ils ont de la sciure partout : dans les yeux, dans la bouche, dans les cheveux. Puis ils se lèvent, se serrent la main et le tour est joué. A la fin de la journée, il reste le vainqueur. Mais la journée est longue.

Nous cherchons l’organisateur de la fête. On nous répond laconiquement : « il est par là-bas, il est facile à reconnaître, il porte une chemise de lutteur. » Une chemise de lutteur ? Mais nous aussi avons revêtu la nôtre pour la circonstance, ainsi que des centaines de personnes déjà présentes. Il n'y a que des chemises de lutteurs ! Heureusement qu’il nous cherchait des yeux ! Il arrive. Salutations d’usage, café-croissant, et nous cherchons un endroit où nous installer. A l’ombre, s’il vous plaît ! Car il n’y a pas un souffle d’air ! Le but est que nous jouions pendant une demi-heure pendant que l’organisation se prépare. Ensuite, ce sera selon les besoins, dans les « trous » entre les combats. Ce sont toujours les journées les plus longues, car on ne sait jamais à quelle heure se terminent les combats. Et ensuite, il y a les après combats……. Et en mai, les jours sont longs ! Et en Valais, les vignerons ne manquent pas ! Mais non, pas de bagarres, que de la bonne humeur. Le roi de la fête reçoit sa couronne de lauriers, il est porté en triomphe pendant que nous nous éclipsons discrètement.

Je sors forte de cette journée.

Il me reste maintenant à attaquer un autre gros morceau du traitement : les rayons ! Je vais être radioactive et luire comme un bâton de policier pendant la nuit !

Rendez-vous à l’hôpital au service d’oncologie pour discuter de la marche à suivre. On me tatoue ! Oui, on me tatoue le sein droit et la zone à traiter. Le tatouage ne prend pas, on recommence, et encore…. Pour finir, ils tatouent et prennent des photos pour savoir où irradier car à la première douche le tatouage n’est plus visible !

Je trouve que tout ceci avance très lentement. Car maintenant j’ai une deuxième priorité : un engagement pour une semaine entière de musique dans un hôtel à Saas-Fee qui doit commencer le huit août. Nous y allons depuis des années, hiver comme été, passer une semaine en animant les repas. Nous jouons de dix-sept heures à dix-huit heures pour l’apéritif, nous mangeons et nous recommençons de dix-neuf à vingt-deux heures pendant les repas. C’est un joli hôtel, avec une grande terrasse, fermée sur quatre côtés. Il ne fait pas froid. Et c’est sympathique de voir défiler des gens dans la rue, ils s’arrêtent ou non, ils nous écoutent, c’est tout ce qui a de plus touristique. Mais à vingt heures, tout doit être silencieux, ordre de police. Ce qui nous arrange bien. Car nous jouons parfois dans d’autres hôtels mais à l’intérieur, et là il n’y a pas de prescription. Ce qui fait que lorsqu’arrive vingt et une heure quarante-cinq, nous voyons entrer toute une équipe qui a entendu la musque de l’extérieur et qui désire manger et danser. Là, c’est moins drôle, il faut assurer ! Et on en a déjà plein les bras.

Donc, je me renseigne quant à la longueur du traitement. On ne sait pas exactement. Ca dépend si la machine tourne tous les jours, si elle ne tombe pas en panne, s’il faut changer une pièce….. Quelle horreur ! Imaginez une seule machine de ce genre pour tout le canton du Valais, de Zermatt à Saint-Maurice. J’en tremble. Il y a des personnes qui viennent tous les jours depuis Zermatt. Mais comment font-elles ?

Je commence assez rapidement ma radiothérapie. Quelle tristesse que cette salle d’attente ! Murs blancs, chaises disparates posées les unes contre les autres sur trois côtés. Une table centrale avec des revues datant de la nuit des temps. Et des gens qui regardent leurs pieds. Pas de fenêtres. Personne ne parle. Toutes les classes d’âge sont représentées, toutes les éthiques, tous les langages. Non, le cancer n’épargne personne. Je retrouve une dame italienne avec laquelle j’avais plusieurs fois partagé la chambre pour la chimio qu’elle faisait en même temps que moi. Au moins un visage connu ! Elle travaille à Montana et doit aller prendre son service dans un hôtel après le traitement. Pas de cadeaux ! Comme elle n’a pas de voiture, elle doit prendre le bus jusqu’à Sierre, puis le funiculaire, puis le reste à pied ! Je lui propose de m’attendre pour que je puisse la reconduire, mais ses horaires de radios ne correspondent pas aux miens. Ou plutôt, ce sont mes horaires qui ne correspondent pas aux siens. Comme j’habite à moins de vingt kilomètres en voiture et que justement je me déplace en voiture, je suis le « bouche-trou »…… On me place dans la grille horaire au petit bonheur la chance, entre les personnes qui se déplacent en bus ou en car, ou en train. Ce qui fait que chaque vendredi on me donne les rendez-vous pour la semaine suivante. Exemple : Lundi : sept heures. Mardi : onze heure dix. Mercredi : dix heures trente. Jeudi : treize heures quinze. Vendredi : neuf heures vingt. Allez organiser quelque chose dans la semaine !!!!!

Un matin je dois aller à la première heure, car ensuite nous devons nous rendre à l’enterrement de papa. Triste journée. Je savais qu’il avait une foule d’amis, faisant lui-même partie de plusieurs sociétés. Mais oui, à nonante ans il était pirate d’Ouchy, membre des Amis du Guillon, et j’en passe……. Quelle foule ! Mais si mon corps était présent, ma tête ne l’était pas : mon père était mon meilleur ami et je ne devais plus jamais le revoir……. Depuis son départ pour la Patrie Céleste, la vie n’a plus été la même. Nous étions très attachés à notre père, notre mère ayant été enlevée par un cancer généralisé trente ans plus tôt. Il était le socle de la famille.

Les semaines se suivent inlassablement. Dans la salle d’attente des rayons, on voit des dames portant la perruque. J’ai fait couper mes cheveux tout courts, je ne sais pas pourquoi, peut-être par solidarité. La dame italienne ne vient plus, elle a fini ! D’autres arrivent directement des étages dans leurs lits, ou dans des fauteuils roulants. Et je me dis que j’ai une chance incroyable ! Après une vingtaine de rayons, je commence à être brûlée. On m’avait avertie. Ca commence comme un coup de soleil, mais rapidement des cloques se forment et éclatent. J’ai horriblement mal. Je dois mettre des compresses entre le bras et l’aisselle pour que les tissus ouverts ne se collent pas entre eux. C’est surtout la nuit que c’est douloureux. Pendant la journée, on fait attention à nos mouvements, mais la nuit, aïe ! Et toujours cette peur que les plaies ne se collent pas entre elles. Je dors avec un pull à manches longues qui tient bien sous le bras.

Les effets secondaires ? Fatigue, fatigue….. à part les brûlures. Mais les jours passent, et la date de la fin est inscrite en rouge sur le calendrier : Les sept semaines se sont écoulées lentement. Demain, trente et un juillet 2001, dernière séance !

ET LA MACHINE N’EST PAS EN PANNE !!!!!!

J’AI GAGNE !

J’ai gagné une bataille, mais pas la guerre !

Chapitre VI

 

Bonjour joli mois d’août tant attendu ! Ce soir, nous regardons les feux depuis la terrasse. Pas question de sortir dans la foule. J’ai vu trop de monde ces derniers temps. Comme d’habitude, le chien est enfermé avec de la musique à fond pour qu’elle ne souffre pas trop du bruit. Et je savoure……

Que c’est bon de savoir que tout est fini, que demain matin je pourrai dormir jusqu’à dix heures sans avoir à descendre pour les rayons. Je ne fais pas de projets, je verrai le temps qu’il fera demain, mais le ciel est dégagé, et peut-être bien que je monterai au barrage faire le tour du lac. C’est mon lieu de ressource. Connaissez-vous le barrage de Zeuzier ? Entre Anzère et Montana. Magnifique ! J’y vais le matin quand le car postal n’est pas encore arrivé pour déverser ses flots de touristes. Le sentier qui en fait le tour est d’un côté facile et de l’autre côté escarpé. Ce qui retient du monde ! L’eau du lac est si claire qu’on voit les montagnes deux fois : une fois perchées tout là-haut et une fois dans le lac. Certains courageux s’y baignent….. je ne m’y suis jamais trempé les pieds. Nora, elle, descend en courant jusqu’à l’eau et patauge. Pour se secouer dans mes jambes à son retour ! Oui, j’ai bien envie de monter à Zeuzier demain !!!

Lac du barrage de Zeuzier

Mais n’oublions pas notre engagement musical à Saas-Fee pour autant. Pendant la période des rayons, nous avons pu travailler et notre programme roule assez bien. Mais il faudra jouer quatre heures par jour ! Alors nous prévoyons un entrainement avec le contrebassiste pour un jour de la semaine.

La première année que nous sommes montés jouer dans cet hôtel, j’étais aux anges : au milieu des « quatre mille » ! Des sentiers à n’en plus finir, toute la journée lâchée dans la montagne ! La première chose que j’avais mise dans mon sac de voyage avait été mes chaussures de marche. J’ai averti les amis : «  si vous ne me voyez pas au petit-déjeuner, ne vous en faites pas, c’est que je suis partie à l’aube chercher les chamois ! » Mais la réalité a été tout à fait différente ! A l’heure du petit-déjeuner, je suis arrivée la dernière à la salle à manger, l’œil endormi, les cheveux en bataille ! Impossible de se lever à six heures après avoir passé toute la soirée à faire de la musique, et ensuite de boire un verre, pour se coucher à point d’ heures. Les chaussures de marche sont restées dans mon sac. Tant pis….. j’ai trouvé d’autres petits chemins pleins de marmottes, tout au fond de la vallée, un banc pour prendre le soleil. Et puis il y avait les télécabines qui nous transportaient assez haut pour avoir un panorama fantastique ! Nous redescendions à pieds gentiment……

Ce fut la seule année où je pris des chaussures pour courir la montagne !

Notre semaine en août 2001 est fatigante pour moi. J’ai du sommeil à rattraper, je fais des petites siestes l’après-midi pour récupérer, mais quelle réussite ! Il y a beaucoup de japonais à Saas-Fee. Dans l’hôtel, ils passent le soir les vidéos de la journée tournées sur le glacier. Un soir, alors que nous avons une pause entre une série de morceaux, je téléphone à la maison pour savoir si tout va bien, car une amie est au chalet pour la semaine. Elle s’occupe du chien et des chats. Nous sommes assis à nos places habituelles, dans nos habits de musiciens pain-fromage ( je ne reviens pas là-dessus !). Quand un groupe de japonais qui mange juste à côté de nous me voit utiliser un téléphone portable. C’est une révélation pour eux : habillés comme nous le sommes, nous devons à leurs yeux vivre dans une cabane dans les bois, laver le linge à la rivière, et ne pas porter d’autres vêtements que ceux de musiciens que nous avons sur nous! Tout le groupe sort les appareils de photos et nous immortalisent pour le Japon. En Suisse, même les plus paumés possèdent un portable ! Notre semaine se déroule dans la joie et nous voilà engagés pour la semaine d’hiver !

Mi-août. Déjà. Je n’ai pas vu grand-chose de l’année et les prémices de l’automne sont là. Les soirées sont moins longues et plus fraîches. Chez moi, en montagne, l’air est plus frais. Les couleurs aussi ont changé. Elles sont plus douces. Il me reste trois semaines avant de reprendre les cours et j’en profite pour aller marcher, rencontrer quelques amis, faire des grillades au jardin.

Mais surtout je me rends en classe, pour discuter avec la direction de mon programme pour l’année qui va commencer en septembre. J’obtiens sans difficultés de ne plus travailler le mercredi matin. Un matin de moins à me lever à l’aube, parcourir le chemin jusqu’à La Tour-de-Peilz et retour, pour quatre heures d’enseignement. Un matin pour moi, que j’ai décidé à garder pour MOI : pas d’école de n’importe quelle manière. J’entends souvent dire que quatre enseignants sur un banc représentent trois mois de vacances….. Ces gens-là ne voient que le travail qu’on fait pendant les cours. Ils oublient qu’il faut préparer ces cours, les mettre sur papier, préparer les interrogations, corriger des piles de cahiers chaque jour. Ils ne pensent pas qu’il faut programmer les matières afin qu’elles soient équitablement réparties tout le long de l’année. Elles ne pensent pas non plus les rencontres avec les parents après les heures d’écoles, les réunions des maîtres entre midi et quatorze heures six ou sept fois par année. Ce qui rallonge les journées, car le travail qu’on ne fait pas entre midi et quatorze heures il faudra le faire le soir. C’est à midi que j’accomplis le plus gros de mes préparations et de mes corrections. Seule dans ma classe, une salade préparée la veille à côté de moi, une bouteille d’eau à disposition. Il n’y a personne dans le bâtiment, j’ai la photocopieuse pour moi. Le téléphone aussi !!!! Car ils ne sont pas rares ceux qui pensent qu’on mange, et qu’on dort sur un lit de camp à côté du téléphone. Parfois le matin avant sept heures trente, il sonne déjà. Ainsi qu’à midi quarante-cinq ! Mais si je suis sur place, je réponds. Il s’agit surtout d’enfants malades qui ne viendront pas en classe.

Donc, plus d’école le mercredi !

Je dois aussi pendant ces jours qui me restent, revoir les docteurs, faire tous les examens possibles. Mon temps est compté……. On me dit que je suis en rémission pendant cinq ans. Ce n’est que dans cinq ans qu’ils me diront si je suis guérie. J’entends par là si le cancer n’a pas décidé de changer de place, comme ça, pour m’embêter. Afin que ça n’arrive pas, on me prescrit un traitement hormonal. Par voie buccale. Un comprimé par jour. C’est long, cinq ans. En plus, examens tous les trois mois au début, puis tous les six mois. Après ces cinq années, ce sera annuel. Je n’ai pas pour habitude de prendre des médicaments. Vrai que depuis Noël, j’ai reçu pas mal de chimie et mon corps a bien dû s’y faire. Mais là, pendant cinq ans, je sens que ce sera difficile de tenir le cap, de ne pas oublier, de les prendre avec moi si je pars en vacances. Mais enfin, du moment que je peux éviter par ce moyen que le crabe me lorgne de trop près, j’accepte.

Pendant les premières semaines, je les prends sans aucun effet secondaire. Mais après un mois, quelle horreur ! Ils me provoquent des bouffées de chaleur épouvantables. En plein cours, je sens monter les suées depuis l’abdomen. Ca monte jusqu’au cuir chevelu, je deviens rouge comme une pivoine, la sueur me dégouline sur le visage et entre les omoplates. Pas longtemps ! Mais trois-quatre minutes suffisent pour que je sois trempée ! Au début, les élèves trouvent bizarre que je me lève d’un bond pour ouvrir une fenêtre alors que dehors l’automne est déjà là et que la température est fraîche. Ils me considèrent d’un air étonné, stupéfaits de mon comportement. Sans compter que ces bouffées de chaleur arrivent n’importe quand, sans tenir compte de l’horaire des récréations. Ils me prennent pour une malade ! Alors je leur explique !

C’est simple avec les ados : quand ils ne comprennent pas quelque chose, ils rient bêtement. Mais si on prend le temps de leur expliquer ce qui arrive, ils comprennent très bien la situation. Profitant de ce que j’enseigne également tout ce qui peut profiter à nos élèves des situations de la vie, je porte leur attention sur ce phénomène des sueurs incontrôlables dues aux hormones. Vite, tout le monde sort son dictionnaire et cherche la bonne page : hormones. Ils sont très intéressés car c’est une chose dont la plupart n’ont jamais entendu parler. Et je me rends compte avec une grande surprise que des garçons de quatorze à seize ans ne comprennent pas le fonctionnement des cycles des filles qui fonctionnent avec les hormones femelles appelées oestrogènes. D’autres ignorent que nous, les femmes, avons ces phénomènes jusqu’à l’âge de cinquante ans environ et qu’ensuite c’est fini. Ils pensent que nous traînons nos « règles » jusqu’à la fin de notre vie. Les garçons sont très fiers de pouvoir leur vie durant être capables de procréer ! Machos…. Ce sont des moments magnifiques, nous partageons, nous communiquons sans fausse pudeur. Tout en étudiant sans le savoir ! Ce fut une année fructueuse dans tous les sens. En octobre, nous organisons une journée « portes ouvertes ». Un succès avec tous les parents qui défilent dans les classes, commentent, assistent aux cours, posent des questions. Difficile d’avoir l’attention des élèves dans ce contexte. Mais ils assument ! Je suis attitrée à la réception des parents et à la partie « café-thé-biscuits- et autres délices préparés par les parents et les enfants des jeunes classes. Journée magnifique, sans stress, où nous avons la possibilité de rencontrer des pères et des mères concernés par les cours. Bref, nous faisons connaissance avec les parents des nouveaux élèves et « taillons une bavette » avec ceux des anciens. Car certains enfants sont là depuis le début de leur scolarité. A dix-huit heures, fermeture des portes ! Il nous faut encore tout mettre en ordre pour le lendemain.

Dans un autre registre, celui de la musique, je passe tout mon temps libre à préparer un nouveau programme pour la saison d’hiver. Il y aura les fêtes de famille, les fêtes dans les stations, dans les homes, dans les hôtels. Je reçois une invitation de la part d’une station thermale pour aller jouer pendant trois jours à Colmar, à la Foire Internationale du Tourisme. Il faut répondre rapidement, et bien sûr que c’est un OUI plein d’enthousiasme que nous envoyons à l’office du tourisme d’ Ovronnaz. Le temps est compté, c’est pour le mois de novembre et octobre est déjà bien avancé. Mais j’ai un tel besoin de retrouver ma vie d’antan que je me lance tête baissée sur cette occasion de découvrir une région que je ne connais pas. Je m’organise pour me faire remplacer le vendredi après-midi afin que je puisse partir dès la fin de la matinée. Nous devons être sur place, mon mari et moi à seize heures et nous ne connaissons pas la route. Le GPS nous aurait bien rendu service ce jour-là ! Nous nous perdons, visitons Mulhouse contre notre gré. Et le temps passe……. Une fois l’autoroute retrouvée, nous mettons les bouchées doubles. Mais Colmar, nous n’y étions jamais allés et trouver l’endroit de la Foire n’est pas une partie de plaisir. Arrivés sur place, énervés comme des diables, il faut commencer à jouer dans le stand d’Ovronnaz. Le bruit, la foule, la fatigue, l’énervement, nous attaquons vaillamment notre répertoire. Pendant des heures, avec juste le temps de manger quelque chose, nous animons la station valaisanne jusqu’à la fermeture de la Foire à vingt heures. A la fermeture, l’Office du Tourisme qui nous a engagés nous emmène manger dans un restaurant de la Petite Venise. Et de ressortir nos accordéons pour faire danser le monde. Lorsque enfin nous regagnons notre hôtel, nous mobilisons nos forces pour passer sous la douche, puis nous nous écroulons sur notre lit ! Le samedi, même topo : jouer, visiter la Foire, jouer, manger, jouer encore……. Mais ce soir il n’y aura pas de restaurant typique pour finir la nuit. Nous laissons le reste de l’équipe y aller sans nous et préférons manger incognito dans un petit bistro. Sans nos instruments et vêtus comme des touristes ! Le dimanche se déroule de la même manière à une différence prête : nous devons arrêter la musique à seize heures pour avoir le temps de rentrer chez nous avant la sonnerie de ma classe ! Mais quel superbe week-end !

Le lendemain, lundi, je vais nager un kilomètre en piscine comme chaque semaine avec ma fille. En enlevant mon pull, j’aperçois au creux de mon coude droit un petit point rouge et je n’arrive pas à ouvrir mon bras en grand. J’ai un peu mal. Je nage tout de même mais je suis gênée avec mon bras. Je ne parviens pas à finir le kilomètre habituel. L’après-midi la douleur se fait plus vive et je remarque que mon poignet est gonflé. Pour la nuit je mets des compresses de glace mais le matin le gonflement s’est encore accentué. Malgré tout je pars en classe. Maintenant j’ai tout le bras qui est gros et rouge. A midi je suis striée de traits rouges de la poitrine jusqu’à la main. Et des douleurs !!!!! On dirait que j’ai été battue avec des branches de noisetiers….. Je vais montrer mon bras à la directrice. La directrice de l’école est stricte, elle mène sa barque tambours battants, ce qui fait qu’elle téléphone à mon mari de venir me chercher immédiatement et de me conduire chez mon docteur. En attendant son arrivée, elle a déjà mis en marche tout le programme de remplacement ! Je vous l’ai dit, elle est hors normes ! Mais d’une efficacité exceptionnelle ! Elle peut tout faire en même temps !

Mon mari arrive vers treize heures trente et m’embarque….. J’entre dans le cabinet médical sans m’annoncer, mon docteur faisant partie des docteurs qui ne comptent pas leur temps. Tout de suite il me prend en charge. «  Vous faites ce qu’on appelle LE GROS BRAS ! » C’est la lymphe qui ne retrouve plus son chemin et qui s’accumule dans le bras opéré en décembre. Un an après ? Oui, un an après ! Alors il me demande ce que j’ai fait pour en arriver là. Joué au tennis ? Oh que non ! Secoué des couvertures par la fenêtre ? Pas non plus ! C’est moi qui trouve la raison de ce dérèglement : l’accordéon ! Mais comment ? Je vous l’explique : les petits accordéons schwyzois se tiennent sur la cuisse gauche. Une courroie en cuir de deux centimètres d’épaisseur passe autour du bras gauche, un peu plus haut que le coude. Donc la circulation de la lymphe est coupée ! Je me souviendrai de Colmar……

Le docteur m’envoie chez une personne pratiquant des drainages lymphatiques. Trois fois par semaines ! Avec interdiction de toucher à mon instrument ! Ni de conduire ! Je suis clouée au chalet à 60 minutes de mon lieu de travail. Mais la patience porte ses fruits et lentement mon bras se dégonfle et retrouve sa mobilité. La douleur s’en va elle aussi. Je change la courroie de mon accordéon par une courroie de six centimètres qui ne me scie pas le bras. Et……je recommence à jouer ! Sans forcer au début, mais il faut jouer pour assumer les engagements pris pour les Fêtes ! Eh bien, je n’ai jamais rien revu !

Le temps s’écoule, les mois passent…..Ma sœur aînée décède d’un cancer généralisé après avoir lutté dix-sept ans. Comme moi, elle avait eu un cancer du sein. Opérée, reconstruite, le crabe l’avait harcelée pendant des années en trouvant toujours un autre endroit où se nicher. Elle a subi opérations sur opérations, chimio après chimio, rayons après rayons. En octobre, le docteur lui a dit : Entre quatre et six mois de survie… Et elle a profité de ce temps pour mettre ses affaires en ordre, distribuer ses affaires, commander son cercueil, mettre en page son avis mortuaire. Son médecin avait compté assez juste. Elle est décédée à la maison, entourée de son mari et de ses enfants. Pour moi, c’est un coup dur. J’aimais beaucoup ma sœur. Et de savoir qu’elle mourait par cette maladie que j’avais combattue me rapprochait d’elle. Son départ a été très pénible à surmonter.

Nous préparons la Fête de l’Ecole pour fin mai. Branle-bas de combat ! Conférences des maîtres chaque deux semaines. Chacun vient avec son idée qui est discutée entre midi et quatorze heures. Pour le bonheur des élèves, ces séances se terminent souvent autour de quatorze heures trente ! Au programme : exposition de travaux d’élèves, stand de brocante, jeux pour les parents en math et en français avec certificat au final, concours divers pour les petits, dont la noce à Thomas et la pêche miraculeuse ! Je reçois le titre d’organisatrice du spectacle de fin d’année. Ce qui me convient très bien ! J’ai l’habitude de la scène, je danse dans un groupe folklorique, j’enseigne la flûte à bec et l’histoire de la musique aux petites classes. Je recrute parmi les élèves tous ceux qui seraient intéressés à se produire en public. Et je me retrouve avec une liste magnifique de danseurs de rock, de rap, de joueurs de guitare, de ballerines en herbe, de poètes et de chanteurs. J’ajoute à cela une danse des petits que j’accompagne à l’accordéon. Pour la sono, mes ados possèdent un don et surtout du matériel ! Ils me disent de ne pas m’en faire, qu’ils vont apporter tout ce qu’il faut en éclairages, câbles, amplificateurs. Et ça marche ! Nous répétons pendant les récréations, tout le monde est motivé ! Je me répète : les ados sont merveilleux dès qu’on leur propose de participer à quelque chose qui les motive ! Le public est nombreux, nous étalons les gâteaux et les biscuits maison, nous préparons le café et le thé.

Comment, déjà dix-sept heures ? Nous avons tous perdu la notion du temps….. Les invités se retirent gentiment, mes grands récupèrent leur matériel de scène, les femmes de ménage engagées arrivent pour remettre la salle communale en ordre. Ne restent que nous, la direction et les professeurs. Fatigués mais heureux. Personne n’a envie de rentrer. Et nous finissons la soirée au restaurant. Nostalgiques que tout soit fini. Prochain exercice : les promotions ! Mais il y a encore quinze jours d’examens et nous devons pousser les enfants pour ces journées éprouvantes au bout desquelles, pour certains, se dresse le spectre du Certificat !

Deux semaines d’examens ! Et les VACANCES !!!!!!!!!!!!!!!! Le dernier vendredi de juin a lieu la cérémonie des promotions et la remise des certificats pour ceux qui l’ont obtenu ! Avec discours à la clé…..direction, professeurs, élèves eux-mêmes, anciens élèves venus en souvenir ! Tout le monde est détendu, heureux de cette année bien remplie. On se détend sur la terrasse du restaurant après la Fête. Le soleil descend à l’horizon, le ciel se teinte de rose, ce qui nous promet un temps propice pour la plage ou la montagne. A bientôt tout le monde !

Oui, en septembre pour une nouvelle rentrée scolaire !

Chapitre VII

 

Deux mois……. Liberté après un immense effort accompli. Et j’en suis fière ! Tout le monde me disait que je ne tiendrais pas le coup, que je craquerais avant la fin de l’année scolaire. Ben non ! Les jours s’écoulent avec délice. Je passe la première semaine à dormir. Sur la terrasse, sous un parasol. A admirer les montagnes. Les jambes commencent à me démanger…… J’ai tout à coup besoin de retrouver le bonheur des étés précédents. Je pars le matin à six heures et je vais partout avec ma fidèle Nora. Nous parcourons les bisses, les cabanes, les lacs de montagne. Et les stations pour la musique ! Nora connaît le plaisir de venir avec nous à Zermatt, Saas-Fee, Grächen…… Seule, elle est bien acceptée. Et elle apprécie ! Nous découvrons de nouveaux endroits, les amis pour la raclette, les amis des amis pour boire une Petite Arvine ! Les semaines passent à une vitesse incroyable. Et je me rends compte que dans trois semaines je recommence les cours. Les trois dernières semaines sont consacrées à la préparation de la rentrée. Le jour de la rentrée se passe comme les autres jours de rentrées : conférence des maîtres qui dure, qui dure, réception des élèves, consignes, cahiers et livres à distribuer……En avant !

Pendant les deux premiers mois je ne me rends compte de rien. Je me donne à fonds. Certains jours pourtant, il me semble que j’ai un peu plus de mal à me lever le matin….. Puis je commence à dormir le samedi après-midi, puis aussi le dimanche….. Mon accordéon ne résonne plus sur la terrasse. Il est dans son coffre. Je devrais m’y mettre car nous avons une prestation très importante en février. Mais l’instrument me semble de plus en plus lourd et ma concentration n’est plus là. Ni ma motivation…… Je passe par-dessus ce « mal-être » en trouvant différents prétextes et surtout en n’en parlant pas. Ne plus voir de médecins en dehors des contrôles obligatoires. Je vais BIEN ! La vie va me remettre au pas. Vite fait ! Un matin, après la récréation, je me sens mal en classe. Tout tourne, tout bascule, je me cramponne à mon bureau pour ne pas tomber de ma chaise. Un élève court à la direction pour chercher du secours. Il revient avec la directrice et deux autres enseignants. Un des enseignants reste avec mes élèves en essayant de les calmer. La directrice m’emmène avec le deuxième collègue et me fait coucher sur le lit d’appoint dans la salle des maîtres. Elle appelle un docteur et mon mari. Le médecin arrive rapidement, me fait une injection pour me ranimer un peu. Je n’ai plus de pensées, ma tête est vide, mon cœur bat la chamade……. Les fonctions vitales sont normales. La directrice lui raconte mon parcours du combattant. Inutile d’appeler une ambulance qui m’emmènera à l’hôpital de Vevey. Il estime que je serai mieux soignée par mon médecin traitant, qui me connaît et me suit depuis des années. Je reprends peu à peu conscience de ce qui se passe autour de moi. J’entends la voix du docteur, celle de la directrice et bientôt celle de mon mari qui n’a pas dû regarder son compteur de vitesse pour faire les nonante kilomètres et arriver si vite.

Nous laissons ma voiture devant l’école et je repars avec celle de mon mari. A la même vitesse, nous faisons en sens inverse le parcours. Dans l’intervalle, j’ai appelé mon docteur qui m’attend. Il n’a pas l’air étonné. La première chose qu’il me dit : arrêt du travail immédiatement pour deux semaines. Il appelle lui-même la direction de l’école pour lui annoncer que je suis trop fragilisée par tout ce qui m’est arrivé ces derniers temps et que je dois dormir. Interdiction de pointer le nez en classe ni de recevoir un téléphone en ce qui concerne mon travail laissé en plan sur mon bureau. La directrice lui répond qu’elle prend tout en main, qu’il n’y a aucun souci à se faire. Le seul remède étant de dormir, dormir et de dormir….. Il me donne des médicaments, m’ordonne de manger et de revenir dans 4 jours. Pour ce qui est de dormir, j’ai dormi ! A peine le temps de me lever pour manger que déjà les yeux me brûlent et que je titube. Je perds complètement la notion du temps. Visites et téléphones interdits…..  Le jour-dit, mon mari m’emmène au cabinet. Je tremble un peu sur les jambes. Je suis prise tout de suite. Le docteur me dit que ce serait bien que j’aille voir un psychiatre pour dénouer ce qui me bloque à ce point. Accumulation de stress, la perte de mon père et de ma sœur, le cancer qui m’a laissée vulnérable, les voyages quotidiens, le désir de bien faire. Je me suis dépassée. Je voulais prouver qu’après un cancer on peut reprendre la vie comme avant. J’en ai trop fait, j’ai des nœuds partout, je ne vois pas de situation de sortie. Je me suis mise moi-même dans cette position extrême. Je suis réduite au silence. La lionne ne rugit plus dans sa cage. Elle n’a plus de réaction. Je ne suis fâchée par personne d’autre que par moi. Je suis dans l’impossibilité de faire quoique ce soit. J’abdique…..

Pour ne pas me brider dans mon choix, le docteur me laisse le choix du psychiatre. NON, il ne téléphonera pas à ma place. OUI, je dois le faire moi-même. N’en connaissant aucun, j’appelle celui qui habite pas trop loin du parking et dans une rue dont je connais le nom ! C’est un homme. Je l’appelle, je lui explique que mon médecin aimerait que je rencontre un psy pour m’aider. HALTE !!!!! «  C’est vous ou votre médecin qui désire que vous me rencontriez » ? me demande-t-il. Je répète que mon médecin me conseille d’aller voir un psychiatre. «  Il s’agit de VOTRE désir ou du désir de votre médecin » ? Ah ! Il commence à me taper sur les nerfs ce type-là…. Mais je sens bien que toute seule je n’arriverai pas à sortir du trou. J’ai l’impression d’être au fond d’un puits qui a les parois enduites de savon noir. J’essaie de me tenir aux murs pour sortir de ce trou, mais le savon noir me glisser inlassablement jusqu’en bas. Impossible d’atteindre le bord du puits. Je me retrouve toujours au fonds. Je prends conscience que suis incapable de le faire moi-même et que quelqu’un doit me lancer une corde.

Je me soumets à mon instinct de survie et je dis au psychiatre que c’est MOI qui demande de l’aide et que c’est MOI qui ai décidé de lui téléphoner. J’ai honte. Horriblement honte. Je ne crois plus en moi. Je crie au secours dans ma détresse, j’ai besoin de lui, d’une présence, d’une personne qui pourra résoudre mes problèmes et je prends rendez-vous pour le lendemain. Cet homme-là doit posséder une baguette magique qui résoudra mon mal….. Avant l’heure du rendez-vous, je me promène devant cette grande maison au cœur de Sion. Je passe et je repasse, puis j’entre. Une grande entrée très impersonnelle avec quelque chose de solennel. Je monte lentement les deux étages qui doivent me mener chez le psychiatre. J’hésite tout à coup : Que va-t-il me demander ? Que vais-je répondre ? Devrai-je m’allonger sur un sofa et déballer ma vie ? Devrai-je lui dire « Bonjour Monsieur ou bonjour Docteur » ? Tellement de questions…… Je me ressaisis, je respire profondément, je sonne et j’entre. Une aimable secrétaire me pose les questions d’usage, nom, prénom, date de naissance……. Puis elle me conduit dans la salle d’attente. Je suis seule. La pièce est chaudement meublée décorée de peintures aux vives couleurs. Des fauteuils confortables ! Des revues sur une table que je n’ai pas envie de feuilleter. Je ronge mes ongles. Je dois m’efforcer à respirer normalement et à rester calme. Mais en fait je suis paniquée. La porte de la salle d’attente reste ouverte. Je n’y reste pas longtemps. Une grande silhouette s’y encadre. A mon étonnement, le psychiatre ne porte pas de blouse blanche : il porte un jean et un pull à col roulé. Il s’avance vers moi en souriant et me tend la main. Il se présente ! Je lui réponds « bonjour Monsieur. » Nous nous dirigeons dans la pièce de consultation. Là aussi, surprise : point de sofa. Un bureau, des étagères remplies de livres, des fauteuils confortables. Première question : est-ce que j’aurais envie d’un café ou d’un thé ! C’est comme ça, un psychiatre ? Rien de formel. Tout inspire la détente et la confiance dans le même coup ! Je me sens déjà mieux ! J’opte bien sûr pour un café….. C’est la réceptionniste qui nous apporte le plateau. Puis elle part en fermant la porte. Le psychiatre commence par me considérer longuement en fumant la pipe. « La fumée ne vous dérange pas ? » Devant ma négative réponse, il bourre sa pipe et l’odeur remplit la pièce de chaleur. C’est du tabac Amsterdam ! Il se trouve que j’aime cette odeur qui me paraît tranquillisante……. (Non, ce n’est pas de l’herbe !) Il sort un bloc note et un stylo. Il me demande si je suis inquiète. Non, plus maintenant. Il me semble que je suis arrivée dans un port et qu’un nouvel horizon s’ouvre devant moi. J’ai confiance en cet homme que je ne connais pas. Mais je suis vidée. Vidée de tout ce que je voudrais dire. Pourquoi suis-je là ? Ma tête est un gouffre. Qui parlera le premier ? C’est lui, au bout de cinq minutes à nous considérer mutuellement. Il me demande si j’ai des enfants. Oui, j’en ai deux, mais d’un premier mariage. Il me demande comment j’ai vécu cette séparation à l’époque : mal. Mais il y a vingt ans ! Puis il vient sur le travail que je fais. Enseignante. Pas facile, me dit-il ! Je lui réponds que j’aime mon travail et combien il me coûte de ne plus le pratiquer. Il cherche la petite bête, celle qui m’a poussée dans cet abîme. Il y en a eu plusieurs, de petites bêtes, accumulées les unes les autres. Mais je n’ai pas envie de tout déballer. Quelque chose me retient encore de raconter ce que seule je porte en moi. Il me demande si j’accepterais d’être soutenue par des médicaments. Au point où j’en suis, je réponds que oui, très volontiers ! J’accepte tout ce qui peut m’enlever ce mal de vivre, cette langueur, cette charge. Je sors de chez lui avec une ordonnance pour des antidépresseurs. On juge trop souvent, moi la première, les personnes qui se disent dépressives. On leur dit : « bouge-toi, secoue-toi, fais quelque chose de tes journées, fais-toi plaisir, vois du monde ! » Quelle erreur…..On ne peut pas bouger : on reste des heures dans un fauteuil à regarder dans le vide. Se secouer : justement, en faisant quoi ? Se faire plaisir : plus rien ne nous fait plaisir. Voir du monde : on n’a qu’une envie, s’enfermer dans son coin et se repasser notre vie en boucle. C’est le néant. Néanmoins, avec le temps, avec les mois s’allongeant aux mois, on se rend compte que la vie reprend le dessus. On se sent comme un arbre au printemps avec des feuilles qui repoussent. Le soleil brille et on le regarde. On entend de nouveau les oiseaux chanter. C’est long, très long…..Des années ! On a peur de la vie. Peur de la voir revenir avec ses problèmes. Oui, elle revient mais on a appris à regarder les problèmes, à leur donner un nom, et même s’ils sont toujours là, on parvient à les dompter. Un jour, la volonté de s’en sortir arrive. Je me souviens de ce jour. Chez le psychiatre qui m’a suivie pendant deux ans, je lui dis lors d’une consultation : « j’ai envie de m’en sortir ! » Il me répond : «  considérez-vous comme guérie ! » A cause de cette volonté qui était revenue…… Depuis ce jour on espace les entretiens, limitons les médicaments. Depuis ce jour j’ai réappris à vivre. Avec un vécu qui ne me faisait plus peur.

La vie reprend son cours, comme il y a deux ans. Mais le médecin ne veut plus que je retourne en classe. Il me reste deux ans avant l’âge de la retraite, il déclare que je dois me fortifier plutôt que de retourner me stresser, car paraît-il que la fatigue est toujours là et qu’il suffit d’un rien pour faire basculer mon équilibre. Et ce jour-là, j’entends la chose qui m’a le plus frappée. En deux lettres : «  AI. » La honte ! Le déshonneur. Ne plus être capable de travailler. Mon médecin est intraitable : fini-n-i-ni !

Je retourne en classe en l’absence des élèves pour vider totalement mes affaires. Partir….. Dix-huit ans derrière moi….. Je distribue aux collègues que cela peut intéresser mes cours d’histoire et de géo.

Chapitre VIII

 

JE SUIS GUERIE !!!!! Oui, les 5 années fatidiques sont arrivées au bout. Pendant 5 ans j’étais en rémission, maintenant, je suis guérie ! Finies les pilules d’hormones, finies les bouffées de chaleur, finies mes peurs à chaque contrôle !

En septembre 2006, mon fils se marie ! Je n’y pensais plus ! Il a mis du temps pour trouver sa princesse ! Quelle fête ce jour-là !

Cette même année, une autre douleur me tombe dessus. Nous devons nous séparer de notre Nora chérie qui est atteinte d’un cancer généralisé à l’âge de onze ans. Elle était si belle….. si douce…. Mais ainsi va la vie. Quand nous prenons un chien, nous savons que sa vie sera plus courte que la nôtre et qu’on devra se dire ADIEU après une dizaine d’années, un peu plus avec de la chance. Surtout les chiens de grande race. Que c’est dur de rentrer à la maison et de ne plus voir courir dans le jardin….. Je la vois partout, je l’entends….. Je me réveille la nuit et je l’entends hurler à la lune. Car elle criait comme un loup. Bien sûr, j’ai mes deux chats, mais rien n’est plus pareil…..Promenades en solitaire ? NON ! Retourner dans « nos »endroits, impossible. Et les questions : vous n’avez plus votre Nora ? Ce n’est pas trop dur ? Oh oui, c’est dur. La montagne n’a plus la même couleur. Le chant du ruisseau n’a plus le même son. Mon soleil est à nouveau voilé. Je mets des photos partout dans la maison. Les «années malamoutes » ont marqué ma vie. Je fais très difficilement le deuil de ces départs. Je sais que je ne ferai plus de peau de phoque, que je ne monterai plus au Grand Saint Bernard manger la soupe chez les chanoines ni redescendre ensuite à toute vitesse ! Plus envie, tout simplement. J’enlève tout ce qui leur appartenait : corbeilles, jouets, tapis. Je ne supporte plus.

Après deux mois d’errance, je craque ! IL ME FAUT UN CHIEN ! Et je trouve une petite boule noire qui remplira ma vie de nouveau par des jeux et des ballades. Un Bouvier Bernois de deux mois. Une boule d’amour ! Quand je le prends dans mes bras pour la première fois, j’éclate en sanglots. De joie, de soulagement, je ne sais pas. Mais notre petit Robi remplira ce grand vide. Il est âgé de dix ans maintenant. Du coup je vais lui montrer mes montagnes, mes cabanes, mes barrages. Mais il n’est pas aussi assidu à l’effort que l’étaient Iron et Isis (Nora). Cela me convient, car les années ont passé aussi pour moi et je n’ai plus envie de partir aux aurores dans la montagne. Mais il me suit facilement pendant trois ou quatre heures d’effort tout de même. Contrairement aux Malamoutes, il est sociable avec les autres chiens, ce qui rend les sorties plus faciles. Nous l’habituons tout de suite à la pension. Pour commencer, on le laisse deux heures, puis la journée, puis la nuit. Il aime beaucoup son chenil et il est l’ami de tout le personnel. Pour nous, nous saurons où le placer pendant nos sorties.

Septembre 2007, je suis officiellement à la retraite. Nous décidons de fêter la fin de ma dépendance à l’AI. En famille, nous prenons des vacances et naviguons sur le canal du Midi. Dans une péniche pour huit personnes ! Nous nous arrêtons où nous voulons, nous visitons ce qu’on a envie de visiter, nous dormons dans des petits ports ou dans la nature sauvage. Nous voyons des ragondins et des ratons laveurs ! Nous nous ravitaillons dans les petits villages et très souvent chez les éclusiers qui nous proposent des produits de leur crûs. Un rêve……Notre fils et son épouse devaient venir avec nous, mais un heureux événement empêche Myriam et Alain de partir avec nous. A la fin du mois, elle doit accoucher de jumelles ou de jumeaux. Le secret sera gardé jusqu’au bout. Alors deux cousines les ont remplacés sur la péniche. Nous envoyons des sms pour savoir comment va la petite famille. Nous faisons des paris : deux filles, crie ma fille ! Deux garçons, crie Josiane, la maman de Myriam ! Un garçon et une fille crient les autres. Pour moi, l’essentiel est que tout se passe bien. Nous ne saurons qu’à la naissance de Laure et Audrey ce qui nous a laissé en alerte pendant toute la semaine ! Le secret a été bien gardé par les parents ! A notre retour, nous retrouvons une future maman qui ressemblait davantage à une tour de garde ! Mais nous arrivons assez tôt pour l’arrivée des bébés. Ils arrivent à la fin septembre et se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Quelle merveille ! Nous ne nous lassons pas de les regarder et de chercher la moindre différence : aucune. Mais que oui ! Laure a un grain de beauté à l’intérieur de la main droite. Voilà qui sera facile pour les différencier en hiver avec les gants ! Pour s’y retrouver au début, parce que les parents de jumeaux font rapidement la différence, Myriam habille Laure avec une dominance rose et Audrey avec une dominance bleue. Mais pour nous, rien ne les différenciera pendant des années ! Jusqu’à l’âge de six ans ou Laure décidera de couper ses cheveux !

L’année suivante, nous repartons en péniche, mais avec nos musiciens. Nous naviguerons sur le canal du Nivernais. Paysages superbes, et des écluses tous les deux kilomètres. Au total, soixante-sept écluses en six jours de navigation. Nous avons des vélos et à tour de rôle nous nous pédalons jusqu’à l’écluse suivante pour recevoir nos copains. Ou au petit pas de course ! La péniche ne fait pas des records de vitesse ! Plein les bras de lancer ou rattraper les cordes, ne les laissant pas tomber dans l’eau qui les rendra encore plus lourdes. Un soleil sans nuages pendant tout le trajet. Et de la musique dans les ports….. Superbe ! Les apéros pleuvent devant nos instruments. Nous jouons surtout le soir, quand le soleil est couché et que nous ne devons plus naviguer. Alors, sur une terrasse, ou sur le pont de la péniche, nous jouons, l’ambiance est festive !

Autre événement auquel je ne me m’attendais pas, ou plus ! Ma fille nous annonce qu’elle va se marier !!!!! Ce qui va totalement changer sa vie : de comptable qu’elle est dans un grand commerce, passant ses journées devant l’ordinateur, elle va épouser un maraîcher. C’est évidemment très différent. Mais quand ma fille a une idée dans la tête, elle fonce comme une locomotive ! Rien ne l’arrête. La langue par exemple : elle ne connaît pas un mot d’allemand et son futur mari habite dans la campagne lucernoise. Le travail à la ferme : elle sait que les vaches donnent du lait…..Elle a rencontré son fiancé dans un cours suisse de danses folkloriques. Que voulez-vous, ils sont tombés dans la marmite à leur naissance ! Les jumelles portent déjà le costume vaudois ! Thomas, son futur, dirige un grand groupe de danses dans la région. Dans la Suisse Centrale, les coutumes sont encore bien ancrées. Tout le monde danse, chante, joue de l’accordéon et porte le costume.

Trois mois…… il lui faut trois mois pour quitter la Romandie ! Petit pincement au cœur ? Elle n’en parle pas. Pendant ces trois mois elle va remettre son appartement, donner son congé au travail, faire ses valises, dire au revoir à ses nombreuses amies, organiser une grande fête de départ. Je n’en crois pas mes yeux. Je savais Caroline fonceuse, mais là, elle m’épate !

Du côté de Lucerne, c’est aussi le branle-bas de combat. Son fiancé vit dans la ferme de ses parents, il est agriculteur comme eux. L’étage du dessus qui ne sert à rien est aménagé en un mignon petit trois pièces. Il y en a à dépoussiérer….. et à laver….. et à repeindre. Et à l’aménager. Mais peu à peu, l’appartement prend forme. Le jeune ménage vivra dans la maison des parents mais gardera son autonomie. Sa porte d’entrée…. Son téléphone ! Le seul moyen de communiquer avec sa future belle-famille est Thomas, qui connaît un peu de français. Ils se comprennent très bien, force gestes et dessins ! Et une chose les réunit : la passion du folklore !

Voilà Caroline partie….. Ce qui me crée un grand vide, car nous avions l’habitude d’aller nager ensemble et de manger à midi. Nous nous y ferons !

Elle est installée ! Les deux familles et autant d’amis des deux côtés nous entassons dans son appartement pour fêter en musique, en chant et en « café-lutz » sa nouvelle vie. Elle va désormais s’occuper d’agriculture. Auparavant, les parents vivaient de vaches, de poules et de lapins, mais maintenant il y a deux couples à vivre sur l’exploitation. Il va falloir organiser la vie de manière plus variée afin que chacun puisse gagner son pain.

Le mardi et le samedi matin, c’est le marché à Lucerne. Les lundis et vendredis sont pris à préparer les légumes, les tresses, le pain, les œufs et autres marchandises. Le premier samedi, sa future belle-mère lui demande si elle veut venir avec eux. Caroline hésite fort, ne connaissant que très peu la langue, voire même pas du tout !!! Alors Agnès n’insiste pas. Elle lui dit de faire comme elle veut, mais que le fourgon part à six heures trente. Caro n’a pas beaucoup dormi de la nuit….. mais à six heures trente, elle est devant le fourgon ! Le contraire m’aurait étonnée…… Sur place, à peine la tente installée, voici le premier client ! En souriant, Agnès pousse Caroline devant lui ! Et c’est parti ! Elle n’a pas eu le temps de réagir ! Peu à peu, elle se fait à ce dialecte et amène une clientèle nouvelle à son fourgon : elle parle français ! Quel atout ! Toute une clientèle romande déferle au comptoir au bout de deux mois !

Chez Caroline

Nous voici seuls au chalet….. mais c’est normal, on savait qu’un jour les oiseaux s’envoleraient du nid. C’est fait, chacun est installé. C’est à cette époque que je me rends compte que mon mari a des problèmes….. Le premier signe ? Il paraît banal :

Nous étions partis en vacances dans le Sud de la France. Pendant la semaine passée à nous promener, mon mari n’avait plus envie de conduire. Pour aller où ? C’est trop loin…il fait trop chaud… J’ai pensé que c’était la chaleur. Mais le jour du retour, j’ai eu un réel problème. Nous avions fait presque tout le trajet du retour et nous étions à Chamonix. Nous avions respecté les conseils de sécurité : arrêt chaque deux heures, boire, se détendre. Donc, il ne s’agissait pas d’un problème de ce genre. Et nous avions fait le trajet plusieurs fois, toujours lui au volant. Mais là, tout à coup, avant Chamonix, il me dit : « je n’ai pas vu quand on a passé la douane….. » Chamonix, nous connaissons, nous y avons des amis, nous avons fait la route souvent. J’étais éberluée de l’entendre me dire une énormité pareille. Mais je lui explique que nous sommes à Chamonix, que nous allons encore traverser Argentières, passer le Col des Montets pour rencontrer la douane. A Argentières, il ne prend pas la route du Col et cherche la route en tournant en rond dans toute la ville, en retournant jusqu’à Chamonix. Nous avons erré pendant une heure…..Alors j’ai sorti le GPS….. je lui ai montré la flèche qui indiquait le parcours. Au bas du Col des Montets, il s’arrête et me dit que je devrais jeter le GPS qui nous indiquait en effet de prendre la route du Col. Alors je lui ai demandé de s’arrêter afin que je prenne le volant. Et à mon immense surprise, il s’est arrêté et nous avons changé de place. Je lui ai dit de suivre la flèche sur l’écran. 

Je me suis arrêtée au Col, nous sommes sortis de la voiture, avons fait quelques pas, puis comme l’heure avançait, nous nous sommes remis en route, moi au volant. Nous nous sommes arrêtés à la douane pour qu’il la voie. Ensuite j’ai déclaré que nous étions en Suisse, qu’on avait faim, qu’on irait manger dans le premier restaurant sur le chemin. Ce que nous avons fait. J’ai fait remarquer à mon mari que maintenant nous étions en Suisse et qu’il faudrait payer en argent suisse. Quand la note est arrivée à la fin du repas, il a sorti un billet de cent francs. Et se levait pour partir. J’ai regardé la note : 83,50 CHF…… J’ai dit : « tu ne vas pas laisser tout le reste au garçon, tout de même ! » Il a répondu que ce n’était que quelques francs. Alors je lui ai fait compter : 83, et après ? 84, et après ? 85, et après ? 86, et après ? 87, et après ? 88, et après ? 89, et après ? 90, et après ? 100 ! Il avait sauté une dizaine. Le choc…..

J’ai repris le volant et nous sommes rentrés épuisés. Le lendemain je téléphonais à son docteur en lui expliquant que quelque chose n’allait pas chez mon mari. En effet, après un premier diagnostic, mon mari souffrirait de troubles cognitifs apparentés à la maladie de Alzheimer…..Il m’a dit que les choses pouvaient évoluer très vite, que je devais prendre les devants, avertir le Centre Médical Social et chercher un Etablissement pour l’inscrire sur une liste d’attente car il fallait compter un à deux ans pour trouver une place le moment venu…..

Un soir, la nouvelle tombe : «  on va avoir un bébé ! » C’est ma fille. Elle est courageuse, elle a tout de même 35 ans. Mais tout se passe bien, elle baisse un peu son temps de travail. Entre temps, la ferme de famille est devenue une S.A. Les jeunes ont plein d’idées pour l’avenir, agrandissement, nouveaux fruits et légumes, confitures et sirop…..pain, pâtisseries….. Caroline s’inscrit dans une école d’agriculture et obtient son brevet en allemand. Chapeau ! Nous voici donc avec trois petites-filles, car Amélie pointe son nez aux premiers flocons.

Je baigne dans le bonheur ! Et j’en profite…… et j’ai bien fait de lutter ! Tout suit comme il se doit…..baptème, profusions de félicitations. Amélie pèse moins que deux kilos mais elle peut rentrer à la maison tout de de suite.

Chez mon fils, une deuxième petite fille est née : Marion ! Une frimousse avec de grands yeux bleus et des cheveux blonds. C’est magnifique ! Quatre petites-filles en cinq ans ! Je n’y crois pas. Marion est la poupée vivante de ses sœurs. Elles sont très étonnées de voir un être aussi petit qui soit fini. Elles admirent les petits pieds et les ongles….. Oui, tout est là !

Puis tout s’enchaîne : une petite fleur nommée Iris arrive dans le jardin de Caroline ! Vraiment, nous n’aurons que des filles ! Car je pense que la série petits-enfants est achevée……..Je nage dans le bonheur et fais des trajets pour voir suffisamment mes petites-filles. Car l’état de mon mari ne va pas en s’améliorant. Il ne supporte pas les petites au chalet : les enfants ça joue, ça crie, ça oublie d’éteindre la lumière, ça chante…….C’est donc moi qui vais les voir. Je veux les voir grandir ! Chez Caroline, je pars et je reste 3-4 jours chez elle, environ chaque deux mois. Chez mon fils, je fais les visites en un jour. Je m’organise. Une Mamie heureuse ! J’oublie le cancer et tout ce que j’ai subi. Je suis toujours suivie et je me sens entièrement guérie. En fait, je le suis ! J’ai passé 13 ans !

Chapitre IX

 

Novembre 2013 : LE CHOC ………. Après toutes ces années, dans l’autre sein, une tumeur ! Vue sur la mammographie. Très bien visible sur l’écran. Elle ressemble à une petite saucisse, elle mesure trois centimètres. Et c’est reparti ! Une seringue pour une biopsie, mais cette fois sous narcose partielle. Progrès ! La première fois, c’était à vif…… et je regarde l’aiguille s’enfoncer dans la tumeur. Elle est maligne. Tout de même, la chose me reste dans la gorge ! Mais que faire, sinon d’accepter la situation ? Je ne travaille plus, donc je ne suis pas stressée par le temps. Plus facile à gérer. Je vais faire tout ce qui est nécessaire pour me soigner. Il reste que de guérir d’un cancer est une chose magnifique, mais entreprendre le même chemin 13 ans après, ce n’est pas très emballant…..

Deux cancers en 13 ans, ça pèse assez lourd dans la balance. Je me dis qu’après celui-là, il en arrivera peut-être un troisième. Mais je suis décidée à me battre comme la première fois. Je dois tout de même me donner du courage pour affronter cette épreuve. Je veux vivre pour voir grandir mes petites-filles comme je l’ai toujours dit ! Je rencontre le chirurgien qui va s’occuper de moi. Un as, paraît-il ! Le meilleur, me dit-on ! Lors du rendez-vous de préparation, il me demande d’enlever « le haut ». Les années ne m’ont pas arrangée. Le sein qui a été opéré et qui a subi les rayons est resté à sa place. A cause des rayons. (ou grâce à eux) Mais pendant ces treize années, l’autre sein s’est résolument incliné vers le bas….. J’ai la poitrine en biais ! Avec un soutien-gorge, on ne le voit pas, mais sans…. Et devant le miroir, quelle horreur ! Le chirurgien sort un instrument qui ressemble à un compas. Il mesure, dessine, calcule. Il finit par me dire : je vais vous remettre tout ça d’aplomb ! Et clac ! Je vais me faire refaire une poitrine ! Comme les stars ! Mon moral monte au plafond ! A quand l’opération ?

Pourtant, cette fois, tout est différent : j’ai un mari malade de Alzheimer à la maison. Je sais que je ne pourrai pas compter sur lui. Depuis les premiers tests cognitifs, la maladie s’est bien installée. Il ne se rend pas très bien compte de ce qui m’arrive. Il ne se souvient plus que j’ai déjà passé une fois par là. Il est inquiet de savoir qu’il sera tout seul pendant plusieurs jours. Heureusement, j’ai le secours du Centre Médical Social qui passera chaque jour pour voir s’il a besoin de quelque chose. Il a peur pour lui…..

En avant ! Je dois y arriver ! Et tout recommence……

Je me fais opérer le 31 décembre 2013. Je dois m’annoncer à l’hôpital à dix heures. Mon mari m’accompagne mais je ne veux pas qu’il reste à se larmoyer à côté de moi. Je renvoie le taxi ! Je remplis les formulaires d’entrée. La réceptionniste est charmante, mais me dit que je pourrai prendre possession de ma chambre dès quatorze heures. Il est onze heures….. Que faire pour passer le temps ? Me ronger les ongles ? Ruminer dans un coin de la cafétéria ? Téléphoner ? Téléphoner….. Je demande à la réception si je peux déposer mon bagage dans la loge. Et je me documente pour savoir s’il y a un bus dans les environs pour aller à Sion. Je n’ai pas beaucoup de temps, mais assez tout de même pour aller m’acheter un truc qui me titille depuis quelques semaines : un nouveau Samsung.

Je file à l’arrêt du bus, et excitée comme une puce, je vais m’acheter ce trésor convoité. Mon natel est un vieux modèle ……bon, c’est une excuse ! Mais elle est valable ! Un peu de courage avant d’affronter l’orage ! Mon achat effectué, je reprends le bus et me retrouve à l’hôpital assez tôt pour boire un café et manger quelque chose.

Voilà, il est quatorze heures, je me retrouve à la réception. On me conduit à ma chambre. Une jeune dame la partage avec moi. Elle est gaie comme un pinson. Elle doit aussi se faire opérer aujourd’hui. Nous nous demandons si nous serons réveillées pour minuit et pour voir les feux depuis notre chambre. Nous recevons nos chemises, nos bas blancs et notre slip en papier. On nous demande de prendre une douche avec ce savon qui pue….. Nous nous exécutons et rigolons bien de nous voir dans cette tenue !

C’est ma compagne qui passe avant moi à la salle d’opération. Je ne la vois pas revenir. Une heure après son départ, c’est mon lit qui prend le chemin de la salle d’op. Cette fois, contrairement à la première, je n’ai aucune peur. On s’habitue à tout….. si on nous laisse le temps ! J’observe avec attention tout ce qui va servir pour mon intervention. Sans panique aucune ! Je pose des questions quant au temps que prendra l’opération. Le docteur m’explique comment il va m’endormir mais je n’ai pas le temps de l’écouter jusqu’au bout…….je suis dans les nuages !

Je me réveille le premier jour de l’an 2014 ! J’ai tout loupé ! Les feux, les cloches……. BONNE ANNEE !

Visite de mon chirurgien : aucun ganglion touché. Aucune métastase détectée. Pour soutenir ma désormais ravissante poitrine, je dois porter jour et nuit une espèce de soutien-gorge ultra-serré dans lequel je ne peux pas éternuer ! Et ceci pendant trois mois ! La galère……Mais le jeu en vaut la chandelle ! Nous mettons sur pied le programme à suivre. Quatre chimios, trente-sept rayons, dix-huit perfusions de Herceptin, qui doivent renforcer mon système immunitaire. Suivront les cinq ans de rémission avec des médicaments chaque jour. Bref, j’aurai fini le traitement fin avril deux mille quinze ! Seize mois. Bof !

Bien entendu, il est impossible de retourner chez moi tout de suite. A cause de mon mari qui saurait juste me faire un café. Je pars en clinique pendant deux semaines. C’est une amie qui vient me prendre en charge à l’hôpital. Je suis en pleine forme. A la clinique, je reçois la visite du physiothérapeute. Et il me prépare un programme pour la salle de musculation. Génial ! J’y vais deux fois par jour trente minutes. Quant à mon mari, il est suivi par le service social à domicile. C’est depuis ce moment qu’il est tout à fait à côté de l’histoire. Il a oublié que je suis allée me faire opérer, et il a également oublié que je suis à Montana. C’est pour cette raison qu’il n’est jamais venu me rendre visite. Il n’a jamais téléphoné, alors que je l’ai appelé chaque jour. Et à chaque coup de téléphone, il me demandait si tout le monde allait bien à Gunzwil. (chez ma fille) Il me croyait chez Caroline……

Retour à la maison avec la même personne qui m’avait conduite ici. Je vais bien ! Mais rentrer chez moi m’angoisse un peu. De me retrouver à la barre du bateau sans pouvoir compter sur quelqu’un de fort me fait peur. Mon mari ne sachant pas que je rentre, je passe le reste de la journée chez mon amie et redoutant de plus en plus mon retour à domicile, j’y passe aussi la nuit. La « boule au ventre », vous connaissez ? C’est horrible. Je suis un sac de nœuds. Je ne sais pas au- devant de quoi je vais. J’appelle l’infirmière du CMS. Elle vient me chercher chez Patricia et me ramène à la maison. Du coup, mon mari croit que j’arrive tout droit de l’hôpital ! Mais il ne fait pas le rapprochement avec Gunzwil et l’infirmière. Il a perdu la notion du temps et des événements.

Mais il faut reprendre les affaires en main….. d’abord, les paiements ! Puis quelques courses à faire. Je découvre dans le congélateur TOUS les repas que le CMS lui avait apportés chaque jour pour midi. Il suffisait de les mettre dans le micro-onde, mais il ne savait plus le faire. Il n’a jamais dit qu’il ne savait plus se servir du micro-onde, ayant encore de la fierté. Alors on a commencé à manger ces plats préparés. Alors qu’a-t-il mangé pendant trois semaines ? Du pain et du fromage…

J’ai un rendez-vous fixé pour ma première chimio demain à huit heures. Connaissant le programme, je m’y rends à l’heure dite. Seule. Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui pleurniche en m’attendant. Rien n’a beaucoup changé en quinze ans ! A part que maintenant il y a un étage « cancérologie ». Sur cet étage, on passe par les chimios et les rayons. C’est au rez-de-chaussée. Et je ne suis pas seule dans une chambre à attendre que les heures passent. Il y a trois pièces aménagées à cet effet. Et on peut choisir le lit ou le fauteuil !!!! Plus de portes fermées. L’endroit est joyeux malgré la sévérité des cas. Les infirmiers et infirmières vont et viennent, nous apportent du café….. On se sent chouchoutés. Oui, au masculin, car les pièces sont mixtes. Mais le processus n’a pas changé : prendre du sang en premier, l’envoyer au laboratoire pour contrôler les globules blancs. Et les plaquettes. Attente du résultat toujours aussi long. J’ai pris un livre. Mais je ne lis pas. Nous discutons entre nous. Nous sommes six par pièces. Et dans ces cas-là, nous sommes rapidement amis ! Nous parlons de nos traitements, bien entendu ! Mais nous sommes aussi juste devant la place de parc des hélicoptères ! Et en hiver, il y a un défilé continuel. On les voit se poser, décharger les skieurs sur des chariots, puis repartir sans tarder. Les hélicos font un étrange ballet. Et nous, on les regarde par les larges baies vitrées. On commente, on compatit…..Et voici l’annonce que nous attendons : la chimio peut commencer ! Le sang est bon !

La ronde des perfusions qui commence…… Et qui durera des heures. Mais l’animation est telle que je ne trouve pas le temps long comme la première fois. Certains partent, d’autres arrivent, pour différents traitements. Je quitte la salle à seize heures ! J’ai faim. Je passe à la cafétéria boire un café et manger un sandwiche. Car je ne sais pas ce que je mangerai ce soir….. Il y a quinze ans, je me souviens que j’étais malade tout le temps, que je n’avais plus de forces, que je ne pouvais rien manger sans vomir. Et que j’avais perdu sept kilos. Alors je me pose des questions. Comment cela va-t-il se passer cette fois ? En rentrant à la maison, je passe faire des achats, sachant que personne d’autre que moi ne s’en occupera. Je dois penser au chien, aux chats, à moi, à nous. Ai-je encore du produit à vaisselle ? Et pour la lessive ? Je fais des provisions pour remplir frigo, armoires et congélateur.

Quand j’arrive à la maison, mon mari est très étonné par ma longue absence…. Je dois lui expliquer que j’ai un cancer et un traitement par chimiothérapie. Il avait oublié. Mais il ne m’offre plus de me faire un café. Je le fais moi-même en lui demandant s’il en désire aussi un. Il ne comprendra jamais ce qui m’est arrivé. Il me posera chaque fois la question, à savoir ce que j’ai fait toute la journée. Il est même méfiant ! Et c’est blessant ! Il se fait des idées sur QUI je vais voir….. Je comprends que ce sera pareil pendant toutes ces semaines qui m’attendent. Je serai seule. Pire : je devrai aussi porter mon mari ! 

Le lendemain, j’entreprends de faire du ménage en pensant que dans trois jours je serai hors service. Eh bien non ! Pas de nausées ! Pas de caillou sur l’estomac ! Pas de fer rouillé dans la bouche ! Seulement la grande fatigue qui me cloue au lit pendant une semaine. Et un appétit d’ogre ! J’ai toujours faim. Il me semble que mon estomac a un trou. La nuit je me réveille et ne peux pas me rendormir sans avoir été faire un tour par la cuisine ! Mais je suis fatiguée ! L’après-midi je dors. Jusqu’au moment où j’entends la voix de mon mari : « je prendrais bien un café, si tu t’en fais un….. » La sieste est finie……. Il ne supporte pas de me voir dormir des heures par jour. Il se sent seul…… pas moi ! Et la bonne se lève et prépare du café pour nous deux. Je ne reviens pas sans cesse sur le fait que je suis en traitement lourd et que c’est moi qui devrait pouvoir compter sur lui. C’est inutile. Il oublie une heure après….. Mais trois semaines passent et je n’ai pas été malade ! Soulagement ! Je dois retourner à l’hôpital pour ma deuxième chimio le matin à huit heures.

«  Où vas-tu ? Pourquoi ? Tu reviens quand… »

Au centre de l’oncologie nous discutons entre nous. Et j’entends les autres se plaindre de maux que je n’ai pas connus….. J’ai pris de quoi manger et boire ! A midi, je sors mon casse-croûte sous les yeux horrifiés de mes voisins et voisines ! J’ai faim ! De retour au chalet, magnifique, ce soir une fondue ! Pendant près d’une semaine je suis fatiguée, soit, mais je peux quand même aller un bout en forêt avec le chien. Et faire mes courses, ma lessive et un semblant de ménage car la fatigue peut survenir brusquement.

Un soir de la deuxième semaine, je ressens quelque chose d’anormal. J’ai mal au ventre. La nuit se passe mal : je me vide par en haut et par en bas….Je pense qu’il s’agit bêtement d’une gastro-entérite et je laisse aller. Puis je commence à avoir des frissons épouvantables. Je claque des dents, je roule en boule dans plusieurs édredons, je ne peux plus me lever. Plus de forces. Fini, terminé ! En continuant à me vider, j’appelle mon docteur qui me dit de venir tout de suite à son cabinet. Impossible de prendre le volant. Je me recroqueville sur la banquette arrière et c’est mon mari qui me conduit au cabinet. La secrétaire m’attend devant la porte et me porte presque pour que je puisse arriver jusque chez le docteur. Il me fait une prise de sang rapide, appelle l’ambulance. Il me pose deux ou trois questions auxquelles j’ai de la peine à répondre. Je me sens m’endormir…..Arrivée de l’ambulance. Je me souviens avoir été mise sur le brancard et le brancard quitter le cabinet. Je me souviens qu'il pleuvait et que j’ai reçu quelques gouttes sur la figure. «  Ca fait du bien « ! Ai-je encore dit. Dans l’ambulance, js suis perfusée directement. Ne me demandez pas de quoi…..Les docteurs me parlent sans cesse et me posent des questions : quel âge avez-vous, avez-vous des enfants, des petits-enfants. Je réponds en hochant la tête, mais je dois répondre par la bouche, ne serait-ce que OUI ou NON. Chaque réponse représente un effort énorme, de plus en plus. Je ne me rappelle pas de mon arrivée aux Urgences. J’avais cessé de répondre…..Mais on me bouscule à l’arrivée à l’hôpital. On me pousse, on me dit de me réveiller. J’entends mais je ne peux pas réagir. Mes yeux ne peuvent pas s’ouvrir. Ils m’appellent par mon nom, par mon prénom…… je suppose qu’ils parlent à une personne qui ne peut pas leur répondre car ma pensée n’est pas encore endormie. Il me semble que tout ce monde s’adresse à une autre personne que moi. Et j’arrive à me dire : mais laissez-la donc dormir ……..C’est au moment où le personnel soignant me change du brancard de l’ambulance à un autre brancard que j’entends une voix qui me dit : «  n’ayez pas peur, on vous change de brancard, vous ne risquez rien. » Et ils prennent mon bras droit et le pose sur le nouveau brancard. Et là, je fais le bon geste, j’ai le bon réflexe : je bouge le bras pour m’assurer que ce brancard est stable. Alors j’entends nettement : « elle est encore avec nous ! » Et tout s’enchaîne très vite. Trop vite pour moi qui émerge du brouillard. La prise de sang faite dans l’ambulance avait été analysée, et avait conforté le jugement de mon docteur : SEPTICEMIE.

Malgré la perfusion dans le bras et une nouvelle ajoutée à l’annonce d’une septicémie, ils me mettent dans une sorte de baignoire en inox. C’est froid. Mais des mains chaudes entreprennent de me déshabiller entièrement car je nage dans mes excréments et mes vomissures. Je n’ai jamais revu ces vêtements ! Je pense qu’ils n’étaient bons qu’à brûler ! Je suis consciente mais incapable d’ouvrir les yeux ni de parler. Et d’une faiblesse sans nom ! Quelle somme de patience ont ces infirmières ! Et de dévouement ! Je suis lavée, puis déchargée sur un lit. On me fait enfiler une chemise, puis on me recouvre d’une couverture chauffante. Que c’est doux et réconfortant. D’après les bruits que j’entends autour de moi, je comprends que je suis aux soins intensifs. Il n’y a que des BIP ! De sons différents, et j’écoute ça comme une mélodie. Je me rends compte aussi qu’on m’a mis des couches car je me vide encore. Je reste 48 heures en soins intensifs, alimentée par perfusion et bourrée d’antibiotiques. Je suis bien. Je flotte….. le monde tourne autour de moi, je suis à-demi assoupie. Je n’ai ni faim ni soif.

Après ce passage en soins intensifs, je recommence à prendre véritablement conscience de l’endroit où je me trouve. Une infirmière portant un masque de chirurgien vient me voir. Elle me dit qu’elle me change d’endroit, qu’elle m’emmène dans une chambre stérilisée, en isolement. On roule mon lit jusqu’à une grande chambre dans laquelle je suis seule. Tous ceux qui m’approchent portent un masque et des sur-chaussures en plastique.

Et à la porte un écriteau : isolement, défense d’entrer.

Pour être seule, je suis seule ! A ce moment, je suis entièrement réveillée et je constate que ma chambre est isolée du reste par une grande baie vitrée. De l’autre côté, les urgences ! Une infirmière me propose une tasse de café ! Quel délice ! Jamais je n’ai bu un aussi bon café…..Puis les médecins arrivent. Plusieurs ! Ils me disent que j’ai eu beaucoup de chance de m’en sortir. Que j’avais un cœur de sportive et que j’étais solide ! Alors ils m expliquent ce qui m’est arrivé. En étant sous chimio, mes globules blancs diminuent fortement, donc je ne peux pas lutter contre les virus. Je suis comme une éponge ! Alors j’ai certainement croisé sur mon chemin, une personne souffrant d’une gastro-entérite. Dans un magasin peut-être…… Chez l’autre personne, ses forces immunitaires sont assez fortes pour que la maladie disparaisse après deux ou trois jours. Mais dans mon cas, mes forces immunitaires, les globules blancs, sont mangés par la chimio et je suis en danger. Je ne savais pas…..personne ne m’en avait parlé. C’est pour cette raison que je suis en isolement et que je ne peux voir personne qui ait mis une blouse verte en plastique, un masque et des sur-chaussures…. Je vais donc rester dans cette chambre jusqu’à la récupération totale de mes globules blancs. Je suis sous perfusion…..

Prise de sang plusieurs fois par jour. Je peux maintenant manger, car je suis affamée et vidée ! Pas de visites….. De qui aurais-je de la visite ? Mon mari est à la maison, seul, et il n’a aucune idée de l’endroit où je suis. Sa maladie le fait descendre par degrés, et de me voir partir en ambulance de toute urgence l’a fait descendre d’un degré. J’appelle le Service Social pour l’avertir de la situation. Il est alors pris en charge chaque jour par une visite de l’infirmière et les repas à domicile. Que je trouverai dans le congélateur, car il ne sait plus utiliser le micro-onde.

Une semaine passe. Les docteurs décident de ne pas me renvoyer chez moi, connaissant mon statut. Je vais aller deux semaines en convalescence à Montana. Mais je n’ai pas de vêtements ! Je demande à une amie de longue date de passer chez moi et de me préparer quelques affaires, pour l’habillement, pour la toilette. Et de ne pas oublier mes jolis bonnets, car je savais que mes cheveux partiraient. Quand elle s’y rend, mon mari ne la reconnaît pas. Il ne comprend pas qu’elle cherche dans mes armoires. Elle lui explique gentiment et il semble avoir saisi.

A Montana, je suis seule dans une chambre mais je peux prendre mes repas dans la salle à manger. Mais la situation est très différente que la première fois où je m’y étais rendue après mon opération et que je caracolais dans les couloirs pour aller à la salle de musculation ! Je suis extrêmement fatiguée et je ne fais que dormir.

C’est à cette période que mes cheveux tombent. C’est impressionnant. Par poignées ! Il y en a partout ! Je demande à l’infirmière de me couper ce qui reste ! En trois jours, je suis chauve…..

Je suis fatiguée, mais le sens de l’humour est encore là. Un soir que l’infirmière de nuit passe vers moi pour me demander si j’ai besoin de quelque chose, je suis sous la douche. Je lui crie : «  S’il vous plaît, auriez-vous un démêlant pour les cheveux ? » Elle repart et je l’entends rire dans tout le couloir !!!!

Ma nièce, dont la maman était décédée du cancer une année auparavant, m’avait tricoté des bonnets multicolores, avec des guignols qui pendaient, des clochettes, des perles. Je ne voulais pas d’une perruque ! Alors chaque jour je me présente à table avec un autre bonnet ! Cela amuse la galerie !

Le jour de la troisième chimio arrive à grands pas. Non, je ne veux pas revenir à Montana ! Oui, je veux rentrer chez moi ! Alors on me fournit des masques pour sortir de ma sphère privée. Et je fais mes paquets. Mon amie vient me chercher pour me conduire à l’hôpital pour y subir ma chimio. Et me ramener au chalet, où mon mari continuait d’entasser les plats préparés dans le congélateur. Il est très surpris par mon retour. Mais il ne me pose aucune question. Il a oublié que j’étais partie.

Depuis maintenant, je sais que je dois faire attention aux bactéries et virus. J’ai compris que je suis fragile. Donc c’est avec mon masque que je vais faire mes courses. Les gens me regardent. Avec le masque et les bonnets rigolos, je les fais sourire. Soigner le crabe par le sourire. J’y crois ! Même la deuxième fois !

Mes petites-filles me téléphonent pour pouvoir dessiner sur ma tête avec les couleurs qu’elles ont reçues. Mais bien sûr ! Ma belle-fille est très heureuse de voir disparaître ces craies grasses qu’elle n’avait jamais osé déballer devant les filles, par crainte pour son mobilier et ses murs !

Le lendemain, départ pour la décoration ! Les filles, elles ont 6 ans, ont averti leurs maîtresses : « on ne doit pas manquer le bus, parce que notre grand-maman qui n’a plus de cheveux vient et ont doit faire de la peinture sur sa tête….. » Je ne sais pas ce qu’a pensé la maîtresse ! Mais à midi quinze, elles sont là. Nous commençons par manger, les filles n’ayant école l’après-midi, nous avons le temps. Puis nous préparons la mascarade. Pendant une heure, elles me transforment en mappemonde multicolore. Il n’y a pas un morceau qui ne soit pas rempli. Mais les continents ont une forme peu commune !!! Elles ont les doigts remplis de craie, la petite sœur, qui participe aussi, en a dans les cheveux. Quel moment magnifique ! Quand je me retrouve libérée, la maman lave les mains et les figures, s’empresse de jeter le reste des craies dans la poubelle, lave la table.

Et me dit : «  ce n’est pas facile à enlever, cette saleté ! » Je suis MAGNIFIQUE. Je suis photographiée de tous les côtés. Le temps de boire un café et de déguster les biscuits de Myriam, l’heure arrive où il faut reprendre la route. Je décide de rester comme je suis. Mon fils, moniteur d’auto-école : « si tu passes par un contrôle, tu seras conduite en hôpital psychiatrique ! » Les filles, mortes de rire ! Moi aussi ! J’ai une heure trente de voiture, je ne vais pas m’arrêter dans un restaurant ni remplir le réservoir ! Me voilà partie ! Pas de barrage sur la route, pas de contrôle de permis, pas d’accident ! J’arrive au chalet sans problèmes…..Ma belle-fille avait raison ! C’est difficile de laver cette craie grasse ! Il me faut laver pas moins de trois fois, et il reste encore des fonds de vert et de jaune….. Mais je mettrai un bonnet pour faire mes courses demain matin ! Les trois semaines dangereuses sont passées. Je me gave de kiwis, puisqu’il paraît que c’est très bon pour les globules blancs…..Après tout, pourquoi pas ?

La décoration, merci les filles.......

Avant la quatrième et dernière chimio, prise de sang, et j’ai le feu vert ! Je suis bien contente de ne pas avoir à prolonger mon temps en thérapie. Cette fois, je n’ai ni musique ni autre engagement. Quoique…… J’ai loué, réservé et payé deux bungalows dans un camping au bord de la mer, au début juillet. Je vais y emmener mes enfants et petites-filles pour une semaine de folie ! Je m’en remets au CMS pour s’occuper de mon mari. Visite journalière, repas préparés ! Je sais que je vais les retrouver dans le congélateur.

Mais il reste encore l’épreuve des rayons….. 37 rayons. Pourquoi pas un chiffre rond ? Après l’ambiance feutrée et décontractée des salles de chimio, c’est une rangée de chaises dans un couloir qui m’attend. Impersonnel. Mais par contre, plus rapide. Comme avant, on me donne le programme de la semaine suivante le vendredi. Comme avant, ce sont des heures différentes pour chaque jour. Comme avant, je ne peux rien programmer plus de cinq jours à l’avance. Comme avant, je suis brûlée. Le couloir est sinistre…. Ma petite-fille de 4 ans vient passer quelques jours au chalet. Alors, elle vient avec moi aux rayons. Elle dessine en attendant. Ou elle chante à tue-tête « là-haut sur la montagne, l’était un vieux chalet » ! Au moins, il y a une espèce d’ambiance avec Amélie. Elle donne des dessins à tout le monde. Un jour, elle prend sa flûte à bec. De ma table, sous les rayons, je l’entends siffler de toutes ses forces. Un docteur lui donne un gros ours blanc en peluche….. Elle ne trouve pas le temps long.

Mon mari continue à décliner. Il ne sait jamais pourquoi je dois descendre chaque jour à l’hôpital. Surtout que c’est tout à fait irrégulier. Il me demande chaque jour où je vais « encore » ! Bien sûr il est souvent seul, et quand je suis au chalet, je dors beaucoup. Alors j’ai trouvé la solution : je le prends avec moi chaque jour, il m’attend sur une chaise dans le couloir. Mais avec lui, pas de chants, pas de rires, pas de dessins, pas de flûte ! Ensuite, nous buvons un café et remontons à la maison.

Les semaines passent…… les rayons sont finis ! Mais pas le traitement !

Chapitre X

J’ai le feu vert pour partir en vacances avec les enfants. Je serais partie même sans le feu vert ! Car en rentrant, je dois continuer sur la lancée avec un traitement miraculeux, une révolution de l’année sur le cancer : l’Herceptin. Qui me sera injecté par voie veineuse chaque trois semaine pendant dix-huit semaines. Super…………

Mais pour l’instant, il est temps de préparer mes bagages ! Nous nous rendons à Béziers pour une semaine. Quelle organisation ! Je pars un jour avant avec le train afin de laisser la voiture à mon mari. OUI, oui, il conduit encore ! La boîte à vitesses en prend un coup, mais personne ne lui a dit de déposer son permis, et ce n ‘est pas lui qui le fera de lui-même ! Je dors chez ma fille, et je fais le voyage avec elle. Nous devons retrouver la famille de mon fils sur une aire d’autoroute. C’est la fête ! Les cinq cousines sont heureuses de se revoir. Les filles de Caroline sont bilingues et peuvent communiquer avec les filles de mon fils. Tout de suite, deux clans se forment : les trois grandes d’un côté et les deux petites d’un autre. Mais c’est l’entente parfaite.

Le Sud…….pour nous, c’est le soleil, la plage, les longues soirées d’été.

Je suis très prudente : je sais aussi qu’il peut y avoir du froid et de la pluie. Dans mon bagage, j’ai roulé mon sac de couchage, le même que j’emportais dans mes expéditions en montagne et les nuits en cabane. Bien entendu, toute ma tribu est morte de rire…… « Mais tu vas où, Maman ? En Alaska ? ….. «  Bref, mon sac de couchage fait bien rigoler la galerie. Ils n’attendront pas longtemps pour comprendre…..Le reste du voyage se fait dans la bonne humeur et notre arrivée au camping est remarquée. Cinq adultes exténués, cinq gamines surexcitées. Et toute l’équipe morte de faim.

Le camping est très joli, bien arrangé et presque vide en ce début de saison. On nous emmène l’emplacement de nos caravanes. R-A-V-I-S-S-A-N-T ! Nos deux mobil- homes sont face à face dans une pinède divisée en allées. Les pins offrent une ombre dont on se réjouit de boire un apéritif et manger au grand air. Mais nous on ne pourra guère en profiter. La raison ? Il fait froid ! Le vent de mer souffle très fort, ébranlant nos frêles habitations. Nous sortons nos vestes et remontons la fermeture jusqu’au cou. Le sable s’enfile partout ! Les filles en ont dans les yeux et dans les sandales. Après avoir débarqué nos sacs dans les caravanes, nous entreprenons de trouver une grande surface pour nous ravitailler. Le petit magasin du camping offre davantage de bouées en forme de canard que de marchandise comestible. Nous demandons à la réception de nous indiquer un endroit. OUI ! Pas très loin, à une dizaine de kilomètres, il se trouve une grande surface. Nous embarquons les filles, et nous nous pressons d’arriver avant la fermeture. Devant la grandeur du magasin, les filles poussent des cris de joie et s’éparpillent dans tous les sens. On comprend trop tard qu’un adulte aurait dû rester au camping avec la colo ! En vitesse, nous établissons deux listes et nous divisons les gamines. Afin de les garder à vue ! Et chacun part avec son caddie, la liste, et rendez-vous à la caisse numéro douze…..Je hais ces immenses surfaces ! Je tourne, je retourne, je repasse trois fois au même endroit sans trouver ce que je cherche, mais par contre je prends d’autres articles qui ne sont pas sur la liste mais qui pourraient être utiles…. De temps à autre, je croise la deuxième compagnie : « tu n’as pas vu la sauce *machin-truc* ? …..

Après deux heures de recherches au pas de charge à travers ces dizaines de rayons, nous nous retrouvons tous par hasard devant le stand dessin-crayons couleurs. Et là, pas moyen de discuter ! Il faut attendre que ces demoiselles trouvent à leur convenance tout ce qu’il faut pour s’occuper pendant les jours de pluie ! Sans compter les sachets de petits élastiques de couleur pour s’en fabriquer des colliers, bracelets, laisses pour leurs doudous. Juste avant d’arriver à la caisse, car il y a file, l’exclamation redoutée : c’est où les toilettes ? Ca presse ! PAS DE STRESS ! Surtout pas de stress ! On va gérer l’histoire….. Laissant les caddies là où ils sont, un peu en-dehors de la file, nous partons à la recherche des toilettes qui ne sont malheureusement pas aussi nombreuses que le nombre de caisses. Malgré nos efforts, nous arrivons trop tard. Super ! Vite, rayon habillage pour prendre à grande hâte des slips et des joggings afin de ne pas inonder la voiture ! Et nous rejoignons la file. Bien sûr, nous nous mettons en queue de file ! 

Quelle semaine……contrairement à l’espoir de mes enfants, il fait froid ! Mais oui, il peut aussi faire froid dans le Sud ! Un méchant vent marin nous décoiffe. ( Moi, c’est facile !) De retour au camping, nous ressentons un appétit de loup (marin ou pas), et Myriam, ma belle-fille nous prépare un repas copieux et largement arrosé. Sauf pour ma fille qui attend son troisième enfant. Mais l’eau est bonne aussi !

Aussitôt avalé notre repas, les filles veulent aller voir la mer. Elles ne connaissent que les lacs. Nous partons donc jusqu’au bord de la Grande Bleue, qui se trouve à deux cents mètres. Et là, une impression incroyable de grandeur et de nature à l’état pur. Il est vingt heures et le soleil se couche à l’horizon. Devant nos yeux, une étendue d’eau. Les petites cherchent en vain un paysage en face de cette immensité d’eau. Elles sont très étonnées de ne pas voir des maisons, des villages, un clocher, quoique ce soit, en face d’elles. De l’eau, de l’eau, de l’eau…..Elles commencent par enlever les sandales pour tâter du bout des pieds cette mer qu’on leur annonce depuis des semaines. Le temps venteux et frais ne les empêche pas d’enlever petit à petit leurs vêtements et de se retrouver en petites culottes. Les plus grandes, elles ont sept ans, s’élancent dans l’eau, sautant dans les vagues. Mon fils doit les rappeler pour leur dire que ce n’est pas un petit lac ! Les plus petites jouent avec le sable. Les parents suivent l’exemple de leur progéniture et tout le monde s’amuse ! Sauf moi ! Trop froid ! Je reste sur la plage emmitouflée dans mon châle ! On verra demain……. La nuit arrive gentiment et c’est avec regret que les petites quittent leur nouveau terrain de jeux. On reviendra demain et chaque jour, tous les jours pendant une semaine. Seule, Amélie fait une remarque : « elle a un drôle de goût, cette eau ! »

Ma maman et ces petites filles à la mer

La nuit est largement installée lorsque nous nous installons pour dormir. Comme j’ai eu raison de prendre mon sac de couchage !!! La semaine est bien remplie : plage, jeux, club pour les enfants, apéros interminables…….J’en profite, car dès le retour, mon traitement à l’Herceptin m’attend. C’est un traitement sous forme de perfusion, chaque trois semaine, quatorze fois. Ce sera long, mais les séances seront plus courtes que la chimiothérapie. Voilà, on se retrouve, à peu près toutes les mêmes, à se faire manipuler dans la salle de chimio. Contrôle des globules blancs, pesée. Quelle horreur, cette saleté me fait prendre du poids ! Sur mon calendrier, à la maison, je recommence (ou continue) à marquer de couleur chaque jour de traitement. Fatigue, douleurs musculaires…….

Mais c’est la dernière ligne droite. Qu’il est long le chemin !

Le plus lourd est de porter mon mari. Il est pris en charge maintenant deux jours par semaine dans un service adapté en EMS. Voilà deux jours de repos pour moi. Si je suis assez bien, j’en profite pour aller voir mes amis ou faire des promenades avec mon chien. Mais à la maison, je n’ai aucun soutien, si ce n’est l’infirmière qui vient chaque semaine remplir le semainier de mon mari. Les courses, les repas, les nettoyages, c’est moi…..Mon mari décline progressivement mais sûrement. Il est maintenant incontinent. Si je décide de le sortir afin de voir autre chose, c’est toute une histoire. Il faut penser à le faire aller aux toilettes avant de partir, de m’assurer qu’il ait mis un pampers. Après une heure de route, il faut s’arrêter afin qu’il puisse faire pipi. Mais attention ! Pas n’importe où ! Pas d’escaliers sans une rampe solide, une place de parc tout près si on veut éviter l’inondation et le changement de couches. Une fois le restaurant trouvé, je pars en éclaireuse pour savoir où se trouvent les toilettes. Et là, de nouveau, même problème : pas d’escaliers à descendre sans une rampe adéquate, aller devant lui pour ouvrir les portes et allumer la lumière, attendre qu’il ait fini pour le remonter au restaurant….. Mes cheveux ont repoussé ! Ils sont blancs, bien sûr !

C’est Noël ! Joyeux Noël ! Le Christ est né !

Pour ce jour-là, je n’ai rien prévu. Aller chez mes enfants ? Mon mari ne voudra pas venir…..Je les ai prévenus : ne vous occupez pas de moi pour Noël ! Sortir avec Papa serait une telle complication….. Il n’aurait aucun plaisir, il resterait assis comme une figurine sur sa chaise sans participer à notre joie. Il ne se rend pas compte que c’est Noël. Tout ce monde l’effraie. Il ne suit plus les discussions. Il fait mal à voir. Du reste, je vois mes enfants très souvent. Alors je décide de sortir avec mon mari pour manger avec lui à midi, loin de toute agitation. Et je choisis un endroit en montagne ouvert le vingt-cinq décembre à midi. Il connaissait très bien l’endroit où nous nous rendions souvent. Mais ce jour-là sa mémoire est absente. Il ne se rend pas compte où nous sommes. Je n’avais pas réservé. Mais il n’y a pas foule. Il est assis en face de moi. Et tout à coup, il me regarde, puis il regarde la chaise qui se trouve à côté de moi, puis me regarde encore. Son regard vide de toute expression va d’une chaise occupée, la mienne, à celle d’à côté, non-occupée…. Ainsi pendant plusieurs secondes. Et soudain il dit : « c’est fou ce que vous vous ressemblez ! » Depuis ce jour de Noël, je ne sais plus qui je suis à ses yeux. La brune aux cheveux bruns coupés au carré, ou l’autre aux cheveux blancs très courts. Il me demande si je suis mariée. Il me parle de sa femme qui jouait de l’accordéon et me répète que je lui ressemble énormément. Elle s’appelle Anne, comme moi ! Elle était enseignante, comme moi ! Je n’ose pas le contredire. Il parle de « l’autre Anne ». Je suis statufiée ! C’est une situation incroyable ! Je ne fais que l’écouter, craignant de dire une chose qui ne serait pas dans son idée. Je comprends qu’il a atteint un degré inférieur……. Mais la vie doit continuer, elle continuera ! Mon traitement aussi !

Passé le Nouvel-An, je peux dire : plus que 4 mois ! Et je m’en réjouis ! Je suis tout aussi réjouie que la grossesse de ma fille arrive à sa fin. Fille ou garçon ? Après cinq petites-filles, qu’arrivera-t-il ? Fin janvier, la réponse à toutes les questions : Johannes arrive, beau bébé tout rond et rose, rempli de fossettes partout ! Un petit-fils ! Il aura du mal avec ses cinq cousines….. Déjà avec ses deux sœurs…… C’est la fête ! Maintenant tout passe à la vitesse supérieure ! Je ne vois plus les semaines passer, je ne compte plus mes traitements, je suis remplie d’un bonheur nouveau, je revis avec l’arrivée de ce petit bout d’homme !

Enfin, le mois d’avril est arrivé ! Fini le combat avec mes veines récalcitrantes qui refusent de se faire piquer et qui se dérobent sous l’aiguille. Fini ! Fini ! Fini ! Fini ! Quinze mois se sont écoulés, j’ai gagné une bataille. Maintenant, c’est la succession des examens…… Je sors de ce combat épuisée mais très fière ! Deux fois de suite, manger du crabe, il faut le faire ! Il me reste cinq ans pour un traitement hormonal. Dans cinq ans, les docteurs me diront si je suis guérie. Comme l’autre fois ! Mais je suis guérie ! Je supporte tant bien que mal ces hormones qui me font prendre du poids. Je regarde un mille-feuilles, et PAN ! Un kilo en plus ! Je ne me nourris bientôt plus que de salades et de légumes……. Les six kilos ne partiront jamais. Adieu à la taille trente-six…… Bonjour, taille trente-huit !

Mon mari est toujours à la maison mais les démarches pour le faire entrer en EMS sont en route. Je ne peux pas tout porter. J’ai tout donné ! Mais maintenant je suis au bout du rouleau….. Les choses vont s’accélérer au mois d’août, où il fait une tentative de suicide et reste 48 heures dans le coma. Il se réveille et il ne reste plus rien de mon Robert. Il restera à l’hôpital pendant deux mois et intégrera l’ EMS en octobre. Je le vois régulièrement, deux ou trois fois par semaine, mais il ne se rend plus compte du temps. Je lui apporte des gâteaux…….les fleurs c’est périssable !

Actuellement, décembre 2015…..

Je fais un bilan de mon parcours et je me rends compte que j’ai traversé maintes épreuves pénibles. Mon combat n’est pas fini : encore trois ans de rémission avec contrôles réguliers. Mais ma confiance est intacte ! Je dois vivre ! Pour mes enfants, mes petits-enfants, mon chien et mes chats, pour mes amis qui m’ont accompagnée sur ce chemin caillouteux par leurs prières et leur chaleur. Merci à eux tous. Merci aux médecins qui ont fait un travail fantastique, merci à la vie, merci au soleil ! Merci, merci !

Je suis dans mon chalet, la neige est tombée, Noël arrive…….

Anzère, décembre 2015

Alain Mettral

Chapitre XI

 

Octobre 2016, triste nouvelle au téléphone, tu nous annonces que le cancer est revenu,  cette fois, il n’y a plus rien à faire et tu n’as plus envie de suivre de traitements lourds.

A partir de maintenant tu vas suivre un petit traitement expérimental et surtout tu vas profiter de chaque instant, tu restes vive et joyeuse, tu renforces ta fois, tu es très fier de nous et de tes petits enfants.

En mai 2017, C’est avec émotion que nous prenons congé de Robert. Depuis ce jour je sens que tu as moins envie de te battre,  la maladie commence à se faire sentir.

La vue de puis le chalet le 17 août 2018 en fin d’après-midi

17 Août 2018

 

Je me souviens de cette averse venue de nulle part au milieu d’une belle journée d’été. Je me souviens de cette odeur de terre mouillée qui remonte du sol. C’est la fin de l’après-midi nous sommes sur la terrasse de ton chalet à Anzère face au Mont-Noble, le cadre est verdoyant nous sommes face aux montagnes. Comme souvent le quartier est calme, il n’y a personne en cette fin d’été et seul le bruit de la pluie vient troubler le silence.

Plus tôt dans l’après-midi, nous sommes venus avec Caroline, te trouver à l’hôpital de Sion où tu as été admise en urgence, voilà quelques jours. Je dois avouer que nous ne venons pas régulièrement en Valais, la distance, la famille et le travail n’ont pas favorisés nos visites. Mais cette visite est un peu spéciale, cette fois, nous y sommes, nous sommes sur la dernière ligne droite de ta maladie, la fin se rapproche. Un sentiment de tristesse me traverse, mais je me tourne vers les bons moments qu’il nous reste à vivre, comme cette journée du 5 août où nous avons fêté tes 75 ans chez Caroline. Quelle belle journée et ce repas en famille sous le tilleul devant la ferme, un grand moment de bonheur. Rapidement la réalité me rattrape, aujourd’hui tu es faible, fatiguée, est une certaine lassitude t’envahit, ce 5 août, c’était sûrement ton dernier déplacement à Gunzwil chez Caroline et je comprends pourquoi tu as eu de la peine à repartir de là-bas, sans doute le savais-tu…

Ce jour-là, tu nous annonces que tu ne remonteras plus au chalet. Ce n’est pas la première fois que tu nous tiens ce genre de discours alors on te dit « oui » mais dans le fond on y croit pas vraiment, pourtant cette fois c’est vrai, tu ne reviendras pas au chalet.

Ce jour-là, tu décides de nous transmettre les reines de ta vie, tu nous demandes de gérer l’administratif. Heureusement tu es prévoyante et nous avions préparé ensemble ce moment quelques mois auparavant afin de ne pas tomber dans l’inconnu le moment venu. Ça nous fiche quand même un sacré coup, cette fois nous y sommes, c’est du sérieux il va falloir relire ces papiers et ces notes pour gérer au mieux la fin de ta vie.

La pluie continue à tomber. Nous entrons dans le chalet par une des portes fenêtres de la terrasse qui reste ouverte en permanence, c’est comme ça, ici on laisse ouvert, on se demande pourquoi ils ont inventé les clefs. Voilà dix jours que tu as quitté cet endroit en urgence. Il règne une atmosphère étrange, presque glaçante c’est comme si le temps c’était arrêté d’un coup. Ici et là traîne des habits, la vaisselle attend son tour, le ménage laisse à désirer et beaucoup de choses ne sont pas rangées, on comprend alors que ces derniers mois ont été difficiles pour toi, que les choses de la vie quotidienne sont devenues des véritables épreuves.

Nous commençons notre tournée d’inspection, ça fait des années que nous venons au chalet, mais cette fois ce n’est pas pour passer une soirée sympa autour d’une bonne raclette, notre vision a changé, nous examinons ce bien comme de potentiels acheteurs à l’affût du détail. Nous remarquons très vite qu’ils sont nombreux les détails, de plus, il ne s’agit pas que de détails, mais aussi de grosses choses dont il va falloir s’occuper au plus vite. Dans quelques temps ce chalet sera notre propriété et quoi que nous décidions d’en faire il va falloir agir, dans cet état il est impossible de le vendre ou de le louer. De plus, le temps presse, on file tout droit sur la saison d’hiver dans quelques mois les premières neiges seront de retour et les travaux deviendront difficiles.

 

Nous commençons notre inventaire. La partie supérieure du chalet est composé d’un grand séjour avec une partie salon et une partie salle à manger, une salle de bain et une cuisine. Deux portes fenêtres donnent sur une immense terrasse plein sud avec une magnifique vue en direction de la plaine du Rhône et les sommets au-dessus de Crans-Montana. Cette partie supérieure du chalet est convenable, c’était ton espace de vie, il y a peut-être quelques meubles en trop et dépareillés, des bibelots à n’en plus finir, mais pas de gros travaux à prévoir. Il y a quelques mois nous étions venus avec une équipe pour enlever la veille moquette de la partie salon et la remplacer par des lattes de bois clair qui donnent beaucoup de lumière dans la pièce. Tu as acheter dernièrement un joli canapé gris et un fauteuil rouge qui donne une jolie ambiance. Nous nous dirigeons vers la partie cuisine. Un peu dans une niche, petite et peu pratique, cette cuisine à son âge, environ trente ans. Elle survit malgré tout, mais il va bien falloir la repenser et la moderniser. Heureusement Caroline a déjà un tas d’idées, nous décidons de demander quelques devis histoire de se faire une idée, si le chalet doit être loué cet hiver il serait bien de changer cette cuisine avant, mais le temps presse, ça va être juste…

Nous passons à l’étage inférieure, l’ambiance change, c’est sombre. Une odeur désagréable nous surprend, nous ne savons pas d’où ça vient. Caroline me dit que c’est l’odeur du produit de lessive que ma mère utilise, je ne vais pas cité la marque, mais je ne les félicite pas. Moi je penche pour une bête morte quelque part ou du vomi. Si j’insiste sur cette notion d’odeur c’est qu’elle va nous poursuivre durant les trois prochains mois, jusqu’à la fin de nos travaux, mais ce jour-là je ne le sais pas encore. Je ne sais pas non plus qu’après mes journées de travail ici, je vais ramener cette odeur avec moi à la maison et avoir l’impression d’être encore au chalet. Nous continuons notre visite, le rez-de-chaussé ce compose de deux chambres qui donnent sur le devant du chalet, à l’arrière se trouve deux petites caves et une sale de bain. On commence par la plus grande des chambres, à droite de l’entrée se trouve un canapé-lit rouge, un modèle volumineux avec de larges accoudoirs, il prend une terrible place dans cette petite pièce, il est ouvert, en position lit. Dessus traîne des parures de lits et des coussins en vrac et un gros carton remplis de quelques habits. Dans le fond de cette pièce se trouve un bureau et une étagère, ce sont des meubles bas de gamme, ils ne sont pas très beaux, comme ses trois petites armoires plus larges que hautes qui n’ont rien à voir avec le reste, posées ici comme par hasard et qui date de l’époque ou on habitait en famille à Cully, il y a plus de trente ans. Une planche à repasser ouverte avec des habits dessus occupe le milieu de cet espace. La fenêtre est obscurcie par des voilages jaunes dont les petites tringles blanches sont déformées et plie en « v » . Sur presque tous les meubles on trouve des objets, des peluches, ici un petit renard et là des nounours qui jouent de l’accordéon. Sur les murs en lattes de bois, quelques photos sous cadre nous rappel les années que tu as voué à la danse folklorique, le comptoir suisse dans ces belles années et la fête des vignerons de 1977.  Une veille moquette grise recouvre le sole, elle est dans un triste état. Par-dessus, sont étalés des petits tapis, des caches misère qui couvre un trou ou une grosse tâche. Nous ouvrons une armoire du bureau, rien n’est rangé, on y trouve de tout, des vielles photos, du matériel de papeterie, des restes de crayons de stylos, des boites vides, un vieil appareille photo numérique et même des choses dont on ne sait pas à quoi elle se rapporte. Une bonne partie est destiné à la déchetterie, il va nous falloir un bon moment pour faire le tri et ce n’est que la première armoire.

Nous passons à l’autre chambre, celle qui te servait de chambre à coucher. Dès l’entrée il y a à gauche et à droite des rangées d’armoires murales, dans le fond de la pièce à droite se trouve ton lit et à gauche un canapé gris. Dans le fond de la pièce, une porte fenêtre avec une chatière donne sur la petite terrasse inférieure. Des gros rideaux blanc et épais tombent de chaque côté. Ce jour-là, les volets sont fermés ce qui assombrit la pièce. Ton lit est défait comme si tu venais de te lever. Nous retrouvons au sol les jeux de tapis comme dans la pièce précédente. Un côté du canapé est complètement griffé, il est dans un sale état. J’avais oublié de parler jusque-là de ton amour pour les chats et les chiens. Une vraie passion, à tel point que le chalet a été petit à petit aménagé pour eux. Je trouve cela adorable, mais ça va nous donner du travail en plus. Ici la chatière qui n’a plus de clapet et qui ouvre directement sur l’extérieur, je vois déjà arriver les températures négatives de cet hiver. Nous nous risquons à ouvrir les armoires, nombreux sont les placards vides, sur les autres les habits sont posés sans être pliés. La mauvaise odeur revient, Caroline a raison c’est sûrement la lessive.

 

Nous passons à la première cave, c’est un local technique, il y a au fond les arrivées d’eau et une machine à laver le linge, c’est une joyeuse caverne d’Ali baba, une grande étagère regroupe des dizaines d’articles plus divers les uns que les autres et dont la plupart attende un voyage vers la déchetterie. On y trouve des vieux outils rouillés, des pots de peinture à moitié vide, des pinceaux séchés, des pièces de meubles, un vieux ciré jaune, une veille lampe, des bouteilles d’huile presque vide, du charbon de bois humide, des pots en terres, des fonds de sac d’engrais… A côté, on découvre deux lampes à pied donc le câble est sectionné, une tondeuse à gazon sans moteur, un petit étendoir rouiller, un petit lit de voyage pour enfant et deux congélateurs vraiment salles et dont on ne sait pas s’ils fonctionnent. Devant la machine à laver une pile de vêtements en attente n’aura pas eu le temps d’aller plus loin et sur le grand étendage les habits éparpillés sont secs depuis un bon moment. On en profite pour humer le bidon de lessive qui trône sur la machine à laver, nous avons maintenant la preuve, cette odeur c’est la lessive. Je me demande comment ils font pour vendre ce produit…

 

 

L’étagère de la cave

 

Nous passons du côté ouest, un portail donne directement sur une terrasse de dalles à hauteur d’un gazon plat. Le gazon est haut et pas très beau, il y a de nombreux trous creusés par les chiens. Les petits arbustes qui délimitent le terrain au bord du petit chemin ne sont pas taillés est partent dans tous les sens. Au sommet du talus, une barrière en bois délimite le bord du gazon. Une vieille balle de tennis traîne encore dans le gazon, elle nous rappelle qu’il y a quelque temps encore jouais ici des chiens en toute insouciance. Sur cette face du chalet une fenêtre donne sur le salon et une porte fenêtre sur la cuisine. La peinture de cette face souffre aussi. Sur cette terrasse nous trouvons un gril électrique dans un état peut rajoutant. A l’arrière du chalet, un petit avant toit protège la porte d’entrée. Un panneau en plastique bleu qui ressemble à une taule ondulée est fixée contre les poutres de l’avant toit et protège de bas en haut l’entrée du chalet, j’imagine que se dispositif empêche la neige de venir s’accumuler devant l’entrée du chalet. Devant ce panneau est posé un petit meuble en bois claire sur lequel trône à notre étonnement une marronnière électrique. Cet ensemble n’est pas beau et bien que sûrement pratique le panneau bleu se démarque fortement. Sur cette face aussi, bien que moins atteinte par le soleil, la peinture est à prévoir. Nous prenons l’escalier qui descend le long de la face nord du chalet et qui mène sur la petite terrasse de l’étage inférieure devant les chambres. L’escalier n’est pas très régulier. Sur cette face la peinture peut attendre. La terrasse inférieure est couverte par la terrasse supérieure, elle est dallée est donne directement sur le talus boisé. D’ici on se rend mieux compte de la masse et de la hauteur des végétaux qui forment comme un mur devant nous. Une partie de cette terrasse est fermée par un panneau en plastique jaune, destiné à créer un espace protégé pour les chats et les chiens. Entre le mur de végétation et le panneau en plastique cet endroit et sombre est peu accueillant, on y trouve encore un gros carton transformé en niche à chat, une caisse et sa litière. Le mur du chalet à ce niveaux est recouvert d’un crépit blanc, on y voit de bonnes fentes qui ont été partiellement rebouchées, mais pas repeintes.

Nous terminons notre visite par le garage, il se trouve sous la surface de gazon et donne sur le petit chemin qui fait le tour de la parcelle. Le garage reste ouvert, car la vieille porte ne ferme plus. Ta voiture est dedans, ouverte aussi. Nous trouvons dans ce garage dans un petit meuble, des pots de peinture vide, des pinceaux secs, des bouts de prises électrique coupés, des vielles ampoules, des bouteilles d’huile à moitié vide. Sur les étagères nous avons des cartons vides, des chaînes à neige et une série de barre de toit pour voiture. Dans un coin du garage des piquets à neige et quelques tuiles pour le toit.

Notre visite ce termine, nous retournons sur la petite terrasse en dalles au bord du gazon. Le constat est sans appel, il y a des heures de travail et le temps qui tourne n’est pas en notre faveur. Nous nous posons beaucoup de questions sur ton état de santé, jusqu’à maintenant tu es toujours remontée au chalet après tes séjours à l’hôpital, pour nous il est clair que tu serras bientôt de retour ici et ont imaginent mal réaménager le chalet et le vider, ni même entreprendre des démarches pour le louer si tu reviens d’ici quelques semaines. Nous sommes par contre d’accord, il faut intervenir en priorité sur l’intérieur afin d’être opérationnelle cet hiver, l’extérieur attendra le printemps prochain. Avant de partir, nous faisons dans la partie du haut, un peu de rangement et de ménage, toujours dans l’optique de ton retour. Pour la première fois nous nous connectons à ton compte en banque et passons quelques factures, nous trouvons une amande d’ordre pour un gros excès de vitesse, ça nous interroge concernant ta conduite.

Il est dix-huit heures, le temps a passé très vite. Il passera d’ailleurs toujours vite lorsque nous serons occupé à travailler ici. Il est temps de partir, nous suivons tes instructions et laissons ouvert la porte fenêtre du balcon, de toute façon nous n’avons pas de clef. Nous repartons le cœur gros et plein de questions, mais nous nous réjouissons de commencer les travaux.

 

 

Chapitre XII

 

Vendredi 31 août.

Tu es toujours à l'hôpital les nouvelles ne sont pas très bonnes ton état s'aggrave et tu nous presses d'avancer à louer ou à vendre le chalet. Tu ne comprends pas pourquoi nous voulons faire des travaux et le réaménager si ça tenait qu'à toi tu le proposerais tel qu'il est en changent à peine les draps de lits, avec Caroline ça nous fait sourire et on va gentiment éviter le sujet avec toi, tu as des soucis plus important.

Je suis arrivé au chalet la veille au soir avec mes outils, je vais donner le coup d'envoi des travaux. Tôt ce matin-là, il fait gris, il y a du brouillard, je suis seul et je commence à vider le premier meuble de bureaux. J'ai décidé de prendre rayon par rayon et de trier au fur et à mesure. Je fais trois tas, un avec les choses à jeter, un autre avec les choses à garder et un dernier avec les « je ne sais pas » . Très vite je comprends que le tri va être difficile. Je passe les objets un par un comme à la caisse d'un super-marché. Une vieille gomme, un article de presse, une petite télécommande, des piles usagées, des bouts de crayons rongés, un petit jouet pour chien. Plus personnel, des photos de familles des bijoux fait à la main, des souvenirs et toutes les peluches, le petit renard, les nounours qui jouent de l'accordéon, le hibou qui me regarde et qui se demande bien ce que je fais et ces poupées au regard sérieux, je sais que toutes ses babioles ont une signification pour toi, elles ont leur histoire, soit ce sont des cadeaux, soit c'est le souvenir d'un lieu ou d'un moment de bonheur, mais je n'ai pas le temps de faire dans le sentiment, de toute façon pour l'instant, c'est juste un tri. Je continue mes tas dans la partie supérieure du chalet, car je veux garder de la place dans l'espace du bas pour démonter les meubles. Mes piles prennent de la hauteur quand je remonte la literie et les habits posés sur la planche à repasser, l'odeur de lessive envahit maintenant tout le chalet. Il est dix heures quand la chambre est vide de tous objets. J'installe une rallonge, ma viseuse et j'attaque les meubles. Il me faut une heure pour démonter les étagères et le bureau, je remonte les éléments et fait un tas à l'extérieur sur la petite terrasse en dalle qui borde le gazon, ils attendront ici leur voyage vers la déchetterie. Pour terminer cette journée, je m'attaque à la cave où se trouvent les arrivées d'eau. Je commence par cette immense étagère qui monte jusqu'au plafond est qui déborde d'articles divers, il n'y a pas grand chose à garder. Je remonte ces objets afin de compléter mon tas, j'essaye déjà de trier, bois, fer et autre. Je me retrouve aussi avec des produits dont le tri est moins évident, insecticide, pesticide, engrais chimique, peinture. Vers dix-sept heures, je mets fin à mes activités, le temps a passé très vite. Avant de partir je fais quelques photos et je jette un dernier coup d’œil sur mes tas de déchets, ils sont volumineux pour une seule journée et j'imagine le nombre de trajet jusqu’à la déchetterie. C'est toujours un moment que je n'aime pas que de devoir quitter le chalet, mais je suis très impatient d'y revenir.

Vendredi 14 et samedi 15 Septembre.

Aujourd'hui, sur ton conseil nous avons pris rendez-vous avec ton banquier. Caroline arrive tout droit de Lucerne en cette fin de matinée pour notre entretien avec lui. Il nous expose les chiffres, la situation est plutôt bonne. Je m'étonne toutefois qu'aucun budget pour de futurs travaux n'ait été prévu, il nous rendrait bien service aujourd'hui, mais ce n'est pas catastrophique contenue de la situation financière du chalet.

Après cette entretien nous nous arrêtons pour manger et faire le point sur la situation. Les idées partent dans tous les sens, mais la question centrale c'est ton état de santé, qu'en ait-il vraiment ? Faute de pouvoir être régulièrement à tes côtés nous échangeons par messages et pour le coup c'est assez déconcertant un jour nous recevons un message qui nous dit que tu vas bien et le lendemain un message qui nous dit que c'est la fin. Nous allons justement venir te voir en ce début d'après midi. Cette fois, tu es à l’hôpital de Sierre, le site est joli, il est situé juste au-dessus de la ville et offre une jolie vue, il fait grand beau. D'après ce que je comprends c'est un hôpital d'un niveaux inférieure à celui de Sion, destiné au suivi et la convalescence des patients. J'en déduis que tu vas mieux et que la prochaine étape sera ton retour au chalet. Je te trouve assez en forme contenu des circonstances. Tu nous briffes sur un tas de détails techniques, chalet, finance, impôt. J'ai aussi quelques questions bien précises comme les droits et obligations concernant le chemin privé et son déneigement l'hiver. Tu profites de cette visite pour nous remettre les clefs de ta voiture et les clefs du chalet, nous apprenons qu'une autre clef et cachée dans la marronnière posée sur le meuble à l'entrée du chalet, je comprends mieux à quoi servait cette marronnière improbable à cet endroit. J'avoue que cette transmission de clefs me donne quelques frissons, ça marque la fin pour toi d'un éventuel retour au chalet, tu ne veux plus y retourner c'est comme si tu avais déjà tourné la page, c'est étrange, car j'ai toujours pensé que tu serais attachée jusqu'à la mort à cet endroit, mais il est vrai que beaucoup de choses ont changé ces derniers temps, tu as perdu Robert, tu as dû placer tes animaux et maintenant tu n'as plus d'attache là-haut, au contraire ce chalet te rappelle un tas de souvenirs et ça te fait souffrir. Pourtant, tu ne pourras pas rester à l'hôpital bien longtemps, c'est paradoxale, mais tu es trop bien ou pas assez mal pour rester en milieu hospitalier on te presse gentiment vers la sortie, il va falloir trouver une solution.

Après cette visite nous montons au chalet pour y passer la soirée et la nuit. Nous rencontrons par hasard plusieurs de tes voisins et un ami qui s'occupe de diverses tâches autour du chalet. Ils sont inquiets de ne pas t'avoir revu et de ne plus entendre le chien aboyer depuis un certain temps. Nous les informons sur ton état de santé et la probabilité que tu ne reviennes plus vivre ici. Ils sont atterrés d'apprendre que cette fois la maladie va gagner la bataille et qu'Anne qui a toujours vaincu, ne peut rien contre ce nouvel assaut.

Ils nous font remarquer les tuiles cassées sur le toit du chalet, deux bonnes rangées sont mal en point, lors de notre inspection nous n'avions même pas regardé la toiture, je me dis qu'on a encore beaucoup de choses à apprendre.

Nous profitons de cette fin d'après midi pour finir de vider la cave aux arrivées d'eau. Caroline s'attaque avec succès au nettoyage des congélateurs du bas, ils reviennent et fonctionnent très bien. Le lendemain, nous vidons la deuxième cave et déplaçons quelques armoires que nous destinons à accueillir la literie. Après avoir pris soins d'acheter un autre produit à lessive nous lançons quelques machines avec les draps et autres textiles que nous pensons garder. Puis pour terminer nous mettons de l'ordre et faisons le ménage dans la partie du haut, en effet il n'est pas impossible que tu doives revenir ici fautes de solutions. Pour l'instant on garde le chalet prêt dans cette éventualité.

Quelques jours plus tard, tu nous annonces qu'une de tes amies est intéressée par l'achat du chalet. Pour nous, ça marquerait un tournant important et la fin des travaux. Personnellement, je suis sceptique, je pense qu'il n'est pas raisonnable de faire visiter le chalet dans cet état, mais rien de ne t'arrête et la visite ce fait dans la foulée. Le suspense ne va pas durer longtemps, c'est négatif, la perspective d'éventuels travaux décourage ton amie. Je crois que tu prends conscience maintenant de la nécessité d'entreprendre quelque chose. Il faut être honnête, ce bien a manqué d'entretien ces dix dernières années. Je m'en veux de ne pas avoir été plus attentif, mais notre attention était protée sur ta santé et celle de Robert, de plus, nos visites se sont cantonnées à un hôpital ou une institution nous sommes rarement montés jusqu'au chalet et ton attention à toi était portée sur la santé de Robert, les objets administratifs et tes animaux, comme un bateau sans capitaine, le chalet a subi les assauts du temps et des saisons. Nous savons maintenant qu'il faut continuer nos travaux.

Quelques jours plus tard c'est l'annonce choc. Tu as la possibilité de prendre un appartement protégé dans la région d'Anzère. Sans hésiter tu te lances dans l'aventure, car c'était un désir de longue date. Pour ma part et sur le coup je trouve cette idée formidable, mais je suis tout de même inquiet sur ton état de santé. Un court téléphone avec une assistante sociale me rassure, elle me confirme que ton état est stable et qu'une sortie de l'hôpital est possible avec un suivi à domicile qui va être organisé avec le centre médico-social local.

 

Vendredi 21 et samedi 22 septembre.

Je suis de retour au chalet. Ce vendredi est consacré à la terrasse du bas. J'évacue la caisse destinée aux besoins des chats, le carton qui leur servait d'abri et les gamelles de nourriture qui sont bien sûre vides. J'avoue que se débarrasser de ces objets me fait quelque chose, car je sais se que ces animaux ont représentés pour toi. Je démonte les plastiques jaunes en forme de taule ondulée qui fermaient cette petite terrasse, la disparition de ces taules ouvre cet espace de manière spectaculaire et amène une grande lumière dans tout l'étage du bas.

Mais le grand moment, c'est la visite de ton futur appartement. Samedi matin je suis venu te chercher à l'hôpital de Sierre. Durant le trajet tu es toute excitée comme une jeune fille qui va visiter son premier appartement. Arrivé sur place c'est le coup de cœur immédiat, c'est vrai que c'est un joli appartement de deux pièces très lumineux, avec de la vue. Il est proche de toutes les commodités ici tous les commerces sont à portée de mains. La décision ne se fait pas attendre, tu le prends et l'affaire est faite dans la foulée comme l'appartement est vide tu peux y entrer de suite. Dans quelques jours tu seras ici. Cela va modifier un peu notre programme de travail, en effet du premier au quatre octobre nous avions prévu de changer les sols des chambres du bas en enlevant la moquette pour poser un faux parquet, il va falloir en plus rajouter un déménagement, mais heureusement ces jours-là j'ai du monde, car en vue de ces travaux nous avions sollicité quelques amis en renfort. Après cette visite je te ramène à l'hôpital, tu es très impatiente de pouvoir entrer dans ton appartement mais d'un autre côté tu me fais part de tes craintes de vivre seule à nouveau et devoir gérer les choses de la vie courante, je trouve normal que tu te poses certaines questions et je pense qu'il va falloir un certain temps de mise en route pour que tu te sentes bien là-bas. Lorsque je te dépose à l'hôpital de Sierre, je te sens très fatiguée, cette petite promenade ta fatiguée autant physiquement qu'émotionnellement, pour la première fois je constate à quel point tu es affaiblie, mais je me dis qu'après cette longue période d'hôpital tu manques d'exercices physiques et que cette forme peut revenir dès que tu seras obligée de bouger dans ton appartement.

Les jours qui suivent sont assez chargé, il faut organiser le déménagement, réfléchir à quels meubles et quels équipements nous allons amener dans cet appartement. Mais c'est aussi la fin des questions concernant ton retour au chalet, c'est bien fini, tu ne reviendras plus vivre ici, il faut finir rapidement de réaménager et trouver des locataires pour la saison d'hiver. Nous échangeons beaucoup par message pour mettre au point les détails de ton aménagement. Tu passes aussi beaucoup de temps sur les réseaux sociaux à échanger avec tes amis et certains messages nous questionnent, l’excitation du début a laissé place à beaucoup d’inquiétude. On espère que nous ne faisons pas fausse route, avec Caroline nous pensons qu'une fois là-bas les choses se passeront bien, tu es forte, tu vas reprendre le dessus et de toute façon nous n'avons plus le choix.

Lundi 1er octobre – jeudi 4 octobre

C'est le grand jour, il fait un temps superbe et les grandes manœuvres vont commencer. Ce lundi matin nous attaquons l'aménagement de ton appartement. Comme nous sommes assez nombreux et efficace cette mission ne traîne pas et en début d'après-midi l'opération est terminée. Caroline et sa famille nous retrouvent à ce moment-là. Tu découvres ton appartement équipé et prêt à t’accueillir. L'émotion te gagne et je te sens encore plus fragile et déstabilisée que lorsque je t'ai quitté voilà dix jours. Certains dans notre entourage sont surpris et s'inquiète de te voir ainsi. Ma femme qui a beaucoup travaillé avec des personnes âgées pense que tu ne pourras pas rester seule ici bien longtemps. Je commence aussi à douter et je me demande si cet appartement protégé n'arrive pas trop tard. Heureusement ma cousine Sylvia va rester avec toi quelque temps, histoire que tu prennes tes marques.

Nous revenons sur le chalet avec l'équipe de travail, certains s'en vont et d'autres arrivent c'est un joyeux chassé-croisé. Pour cette fin de journée nous nous attaquons à décoller la moquette de ta chambre, c'est un boulot un peu ingrat, mais il faut bien passer par là si on veut refaire les sols. Heureusement notre première expérience avec le salon nous a servi et nous avons les bons outils. En fin d'après-midi cette chambre est terminée et prête pour la pause du faux parquet. Le lendemain matin, alors que les travaux se poursuivent au chalet nous avons rendez-vous avec l'infirmier du centre médico-social afin de mettre en place le suivi des soins, des repas et du ménage. Nous avons aussi des questions précises concernant tes médicaments et si tu es encore autorisée à conduire, mais pour l'instant rien ne si oppose, tu es rassurée, car tu n'es pas prête à renoncer à ton permis de conduire, ici pourtant tu peux accéder à tous les commerces et ton médecin à pied, de plus tu as un arrêt de bus à proximité. Pour notre part, nous ne sommes pas trop inquiet, car pour l'instant ta voiture est dans le garage au chalet et on ne va pas se presser pour l'amener ici. Nous revenons sur le chalet, les travaux avancent bien et vite, nous en profitons pour faire d'autre d'autre chose comme tailler la haie, tondre l'herbe, faire un gros voyage à la déchetterie, attaquer la végétation du talus et une foule de petites bricoles. Nous amenons encore quelques affaires et le gros vaisselier dans ton appartement. Les journées passent vite et les soirées sont animées. Une de nos amies nous fait part de son désir de louer le chalet pour la saison d'hiver, se serait magnifique. Dès le mercredi en fin d'après-midi, nos amis venus nous aider commence à quitter le chalet. Caroline et sa famille s'en vont le jeudi matin juste après le déjeuner. Je reste seule et prend du plaisir à regarder le travail qui a été réalisé, j'admire notre tas destiné à la déchetterie, qui malgré notre gros voyage d'hier ne cesse d'augmenter, mais je pense déjà à la suite et prend quelques mesures et photos afin de préparer les étapes suivantes.

 

j'admire notre tas destiné à la déchetterie

Dans les jours qui suivent, tu me presses pour faire installer dans ton nouvel appartement, le téléphone et une boite aux lettres, je me dis que ta vie retrouve un cours normale et c'est une bonne chose. Nous faisons effectuer ces opérations, mais à peine terminé la pose de la boite aux lettres voilà que tu me fais part de ton désir ne plus gérer ton courrier, car cette correspondance te stress. Je fais dévier le courrier chez moi et je regrette la pose de cette boite aux lettres.

Lundi 15 et mardi 16 octobre

Ces deux jours avec ma femme et mes filles sont destinés à la peinture, nous avons aussi prévu de venir te rendre visite dans ton nouvel appartement, mais nous apprenons avec surprise, que tu es partie quelques jours chez ma cousine Sylvia dans le canton de Zurich. La visite sera pour une autre fois et comme il fait beau Myriam attaque la peinture de la barrière de la terrasse, pendant que je finis de débroussailler le talus. Nous vidons quelques meubles de l'étage du haut qui vont rejoindre le tas destiné à la déchetterie. Justement, nous avons prévu de faire deux voyages le mardi, la déchetterie étant assez éloignée il faut compter une heure par voyage ce qui ralentit l'avancement des travaux. J'avais aussi prévu de faire les finitions dans ton appartement qui n'est pas encore entièrement équipé, il manque des armoires pour tes habits, un meuble pour la cuisine et les cadres avec les photos de famille sont posés dans un coin en attendant d'être accroché aux murs, mais sur ces deux jours je vais manquer de temps, je reviendrais te voir et profiterais d'un moment avec toi pour faire ces bricoles.

La peinture

Quelques jours plus tard C'EST LE CHOC, tu es de retour à l’hôpital. Sylvia t'a ramenée depuis Zurich en urgence sur l’hôpital de Sion, tu avais de la peine à respirer, tu étais angoissée et tu as demandé pour revenir ici. C'est le retour à la case départ c'est un coup dur pour toi et pour nous. Après examen les médecins estiment que le problème immédiat est plus psychique que physique et avec ton consentement ils te transfèrent dans un hôpital psychiatrique. Tu vas pouvoir te reposer et récupérer des nombreux changements intervenus ces derniers mois, la perte de ton mari, la séparation avec tes animaux et le départ du chalet. Dans les jours qui suivent nous avons très peu de contact avec toi est tes messages sont souvent incohérents, mais nous allons bientôt venir te voir.

Jeudi 25 et vendredi 26 octobre

Avec ma femme nous sommes de retour sur le chantier, nous savons maintenant que notre amie va louer le chalet pour la saison d'hiver, elle souhaite rentrer le 1er décembre, ça nous motive. Nous arrivons aussi avec du nouveau matériel pour la cuisine et une télévision pour remplacer celle que nous avons descendu dans ton appartement. Ces deux jours sont consacrés à la peinture intérieure, je pose un miroir dans la salle de bain du haut pour remplacer la pharmacie qui n'était plus en bonne état. C'est aussi la fin du tas de déchets, car en redescendant nous allons passer une dernière fois par la déchetterie.

En cette belle fin d'après-midi d'automne et après avoir chargé le véhicule, nous donnons un coup de ballet autour du chalet. Un agréable rayon de soleil offre une couleur chaude et une température agréable. Avec la disparition du tas de déchet, la terrasse en dalle a retrouvé ça place et offre un espace accueillant, on est bien loin de notre première impression du 17 août voilà deux mois. Je mesure le chemin parcouru. Ce moment marque pour moi la fin d'une étape du chantier, même si ce n'est pas terminé, les gros travaux sont derrière nous.

Sur le départ en cette belle fin d'après-midi

J'aurais bien profité de ce moment plus longtemps, mais nous devons déjà partir, car après notre arrêt à la déchetterie, nous avons prévu de te rendre visite. La route du retour et chargée de trafic et nous avançons avec peine. Il est tard lorsque nous arrivons enfin à l'hôpital, nous sommes à la limite des heures de visite, même le bureau d’accueil est fermé. Le site se compose de plusieurs maisons repartie dans un vaste parc boisé qui surplombe la plaine. Je me doute qu'en plein jour ça doit être magnifique, mais de nuit c'est plutôt lugubre, il n'y a personne pour nous renseigner et nous ne savons pas où te trouver, quelques ombres apparaissent aux fenêtres. Après plusieurs minutes nous trouvons enfin quelqu'un qui nous indique une des maisons, ce n'est pas la bonne, mais à force de passer d'une maison à l'autre nous arrivons au bon endroit. La personne qui nous reçoit est surprise de nous trouver là à cette heure-ci, nous avons l'impression de gêner, c'est normal nous avons sûrement dépassé l'heure des visites. Elle nous explique que tu viens de te coucher, je ne vais pas insister, nous avons quelques affaires pour toi que nous allons laisser à cette dame et repartir, nous reviendrons un autre jour. Mais alors que nous sommes sur le point de repartir elle nous demande d'attendre un instant, elle va aller voir s'il est possible de te voir. Oui, tu es encore réveillée, formidable nous n'avons pas fait tout ce chemin pour rien. Elle nous introduit dans ta chambre, c'est le choc, tu es complètement dans les choux, nous ne comprenons rien à ce que tu racontes, tu es complètement désorientée il est impossible d'avoir une discussion, de plus nous te trouvons faible et amaigrie c'est très impressionnant. Après dix minutes nous quittons ta chambre, tu es en train de t'endormir et nous en avons assez vu. Sur le chemin du retour nous sommes sous le choc j'aurais préféré ne pas te voir comme ça, je regrette cette visite, je me dis que c'est la fin. Nous allons récupérer nos filles qui sont restées chez la maman de ma femme ces deux jours, heureusement qu'elles n'ont pas participé à cette visite ça me fait du bien de les retrouver.

Vendredi 2 novembre

Je suis de retour au chalet, aujourd'hui je vais attaquer la partie administrative. Lors de nos tris nous avons mis de côté de nombreux classeurs contenant des documents. Je veux prendre le temps de passer pièces par pièces histoires de ne pas louper des informations importantes. Je veux faire ce tri ici, au chalet, car si je reprends ces classeurs à la maison, je sens que ça va traîner chez moi des années. Je me souviens qu'il m'a fallu trois heures pour faire le tri et supprimer environ la moitié de ces documents qui n'étaient plus d'actualités, une garantie échue, une police d'assurance pour une ancienne voiture, de vielles factures et autre. Je suis assez fier de mon tri, l'immense pile de classeurs c'est bien réduite, de plus, j'ai appris des choses intéressantes sur le chalet comme son financement, les assurances et même l'évacuation des égouts. L'autre partie de la journée est consacrée aux armoires du bas qui contiennent encore des habits, j'ai reçu l'instruction de tout vider, car il ne reste que des affaires que tu ne vas pas remettre. Avec ces derniers habits, l'odeur désagréable de lessive envahit pour la dernière fois le chalet, avant d'aller rejoindre la collecte des textiles.

Dimanche 4 novembre

Ce matin, c'est l'entrée en scène des nouveaux meubles. Caroline et Thomas arrivent avec leur fourgon d'entreprise plein de cartons d'un célèbre vendeur de meubles suédois. La journée va être longue et nous avons à nouveau demandé du renfort à nos amis histoire de boucler cette mission en une journée. Nous profitons de changer aussi quelques lampes et appliques qui dataient d'une autre époque. La journée passe vite, les montages s’enchaînent et l'intérieur du chalet change petit à petit de visage, ça devient vraiment joli. Caroline embarque avec elle le gros canapé lit rouge, dernier vestige des meubles d'origines. Il est dix-sept heures quand nous arrivons enfin au bout de la dernière chaise. Caroline et Thomas repartent aussitôt, car ils veulent aussi passer te voir à l'hôpital et la route du retour sera encore longue. Moi je reste encore quelques instants et profite de faire des photos des nouveaux agencements. Plus tard dans la soirée alors que vous êtes sur le chemin du retour Caroline me téléphone pour me donner ses impressions de la visite. Elle t'a trouvée très agitée et même survoltée. Elle n'a pas réussi à avoir une discussion avec toi, comme si tu étais dans un autre monde. La visite n'a pas duré et rapidement elle s'est remise sur le chemin du retour. Dans les jours qui suivent les messages que nous recevons de maman se normalisent, il est à nouveau possible d'échanger. Nous fixons une séance avec les médecins afin de discuter sur la suite de ton traitement et d'un éventuel retour dans ton appartement.

L'arrivée des nouveaux meubles

Mercredi 14 novembre.

Ce matin, nous avons rendez-vous avec toi et les médecins pour mettre sur pied ta sortie. Comme je m’en doutais cet endroit que j’avais trouvé lugubre de nuit et très joli de jour avec le soleil. Nous découvrons une superbe vue sur la plaine et les montagnes en face. Nous te trouvons en pleine forme et bien dans ta tête. Après une courte séance il est décidé de ta sortie, il ne reste plus qu’à organiser le suivi chez toi avec le centre médico-social se qui va prendre quelques jours. Tu es toute contente, car tu vas quitter le milieu hospitalier et nous sommes heureux que les choses se normalisent, nous voyons là un grand pas en avant. Après cette séance Caroline repart directement sur Luzerne. Cette après-midi il est convenu que je dois t’amener à Sion pour un scanner et nous profitons de la pause de midi pour aller manger dans un centre commercial de la région. Nous profitons de faire quelques boutiques, car tu veux t’acheter des habits, la plupart ne seront jamais portés tu n’en auras malheureusement pas le temps. Nous faisons aussi des photos, car nous allons commander un abonnement des transports publics, en effet, tu ne pourra plus faire de grands voyages en voiture, mais tu décides quand même de la garder pour circuler autour de chez toi. Mes filles nous rejoignent pour la suite de l’après-midi, elles sont toutes folles d’aller promener grand-maman et de venir au chalet avec moi. Puis c’est le départ pour l’hôpital de Sion, pendant que tu vas faire ton scanner nous profitons de faire un aller retour au chalet histoire de faire l’inventaire de la literie et des rideaux. En fin d’après-midi je te ramène à ton point de départ, tu n’es pas très heureuse de retourner là-bas, mais tu sais que tu vas bientôt sortir et du coup le retour et plus agréable.

Dans les jours qui suivent alors que ton moral va bien, tu reçois les résultats de ton scanner, la maladie avance comme prévu, tu le savais avant même cet examen, on te donne maintenant trois mois de vie. Nous on n’y croit toujours pas on te trouve bien, mais les apparences sont trompeuses. Toi tu restes sereine, ton seul désir c’est de ne pas souffrir, mais pour l’instant les antidouleurs font leur travail à la perfection.

Puis c’est le transfère sur l’hôpital de Martigny, SURPRISE… il était question d’un retour sur ton appartement protégé, mais ton état de santé ne le permet pas, en effet tu as besoin de soins qu’un hôpital psychiatrique de ne peut plus t’offrir, pour tout le monde, il est clair que tu vas finir ta vie ici dans cette unité destinée aux soins palliatifs.

Vendredi 23 novembre

Aujourd’hui je suis de retour au chalet, il fait beau, mais frais. La neige sur le Mont-Noble en face est bien descendue et nous rappelle que la saison d’hiver arrive, je me dis que nous avons eu de la chance pour nos travaux. C’est mon dernier jour ici, demain samedi, Caroline vient avec notre amie qui a loué le chalet pour cet hiver, ça va être le coup d’envoi de la saison. Je dois terminer quelques petites choses et surtout donner un coup de ballet dans le garage et autour du chalet histoire qu’il fasse bonne impression. En début d’après-midi j’ai terminé mon travail, je ramasse mes dernières affaires et après un dernier tour d’inspection je prends le chemin du retour, j’ai de la peine à partir, je ne peux m’empêcher de penser que ces journées de travail ici vont me manquer.

 

La vue du chalet le 23 novembre

Au revoir chalet , à l’année prochaine……

Début décembre 2018

Nous échangeons beaucoup par message et tu nous informes que les médecins aimeraient nous rencontrer concernant la suite de ton traitement et un éventuel retour dans ton appartement. Je suis surpris, mais apparemment tu es trop bien ou pas assez mal pour rester à l’hôpital. Je me crois revenu il y a deux mois en arrière après ton hospitalisation à Sierre. Nous imaginons toute sorte de solutions pour assurer un suivi à ton domicile, mais ces solutions n’offre pas une présence continue et en tout cas pas la nuit. La solution de l’établissement médico-social nous semble la plus appropriée, mais tu n’en veux pas.

Il nous vient alors l’idée de te prendre à la maison, il faut décider si se sera chez moi ou chez Caroline ou voir si une alternance est possible. Rapidement il est décidé que tu viendras chez moi, pour des raisons pratiques et techniques. Tu es ravie de cette solution et de retrouver une vie de famille. Au début l’idée était de retourner sur Martigny en toute fin de vie, mais plus les jours avances plus tu penses rejoindre une unité de soins palliatifs à proximité de chez moi pour tes derniers moments, cette solution nous semble plus rationnelle.

Le douze décembre nous avons rendez-vous avec les médecins pour discuter des détails de cette opération, je me rends compte à ce moment-là que ce n’est pas pour quelques nuits passées sur le canapé du salon, mais que l’on va se transformer en un véritable hôpital de campagne. La date de sortie et fixée au dix-neuf décembre d’ici là nous devons organiser le suivi des soins, médecin, infirmière et équiper une chambre d’un lit médicalisé. Heureusement l’équipe de l’hôpital de Martigny anticipe nos démarches, les dossiers et informations suivent bien et les choses se mettent naturellement en place. Mes filles sont folles de joie, tu vas partager la chambre de Marion c’est la plus grande des chambres. C’est l’occasion de ranger et faire les grands nettoyages dans la maison. Le lit médicalisé que nous avons loué arrive, mes filles et leurs petits copains du quartier sont très impressionnés, « c’est un vrai lit d’hôpital » tout le monde n’a pas un lit d’hôpital à la maison.

Cette fois, tu renonces à ton permis de conduire et tu nous presses de vendre ta voiture c’est une histoire de réglée. Je commence aussi à résilier tes abonnements et la ligne internet que nous avions fait installée dans ton appartement protégé. Ça me donne un sentiment étrange, j’ai l’impression de démonter ta vie pièce par pièce.

Tout le monde n’a pas un vrai lit d’hôpital à la maison !

Chapitre XIII

 

Mercredi 19 décembre

Vers onze heures je viens te chercher à l’hôpital de Martigny. Ça va être une longue journée pour toi. L’infirmière me donne quelques instructions et quelques médicaments pour la journée. Nous avons prévu un passage par la pharmacie, nous en avons une jolie liste à prendre. Je sens que tu as de la peine à quitter cet endroit, tu étais bien ici, tu me l’as dis souvent. Au moment de partir l’infirmière te dit quelque chose qui me revient souvent « un jour après l’autre » je comprends qu’on ne parle plus de mois où de semaines mais qu’on compte les jours. C’est avec beaucoup de retard qu’on quitte Martigny, mais le temps n’a plus d’importance maintenant.

Direction ton appartement, nous allons chercher quelques affaires et ton matelas. Arrivé sur place, une de tes amies nous rejoint et après un passage à la pharmacie nous commençons à charger tes affaires, le choix est difficile, que faut-il prendre, des chaussures, des grosses vestes d’hivers, un parapluie… mais vas-tu avoir beaucoup l’occasion de sortir de la maison, voir même de quitter ton lit ? C’est compliqué et que faire du reste ? Je n’imaginais pas ce moment comme ça, il y a un tas de choses que tu aurais sûrement envie de prendre, car notre cousine Sylvia a décoré ce lieu avec soin, mais ce n’est pas possible il va falloir abandonner pas mal de choses ici. En passant devant la photo de Robert, ton défunt mari, tu nous dis que tu la laisses ici, que Robert est maintenant dans ton cœur. C’est dur et c’est encore plus dur, car je sais que la semaine prochaine nous venons avec Caroline et Thomas vider l’appartement, nous t’avons rien dit, car nous ne voulons pas te faire de la peine, mais quoi qu’il arrive tu ne reviendras pas vire ici et nous devons trouver un repreneur pour ton bail, le plus vite sera le mieux.

Vers quinze heures, nous sommes au bout du chargement, le véhicule est bien remplit, avant le départ nous allons boire un café avec ton amie au tea room qui se trouve en bas de chez toi. Ce moment se prolonge, je sens que tu as beaucoup de peine à quitter cet endroit, tu sais que tu ne reviendras pas dans cette région où tu as vécu ces vingt-cinq dernières années, un instant j’ai imaginé que tu me demanderais d’aller voir une dernière fois le chalet, mais non, c’était pourtant notre dernière chance. C’est le départ, direction la vallée, la ville de Sion et son hôpital, là où tout a commencé. Puis la longue descente de la vallée du Rhône, Martigny où nous étions encore ce matin et le passage dans le canton de Vaud à St-Maurice, je ne peux m’empêcher de penser que tu ne reviendras probablement plus dans le canton du Valais, c’est un peu surréaliste, combien de fois as-tu passé par là ? Je me dis que ça ne peut pas être la dernière fois.

Heureusement l’arrivée chez moi est très joyeuse et animée, mes filles sont très excitées et ma mère découvre sa chambre avec bonheur. Myriam nous a préparé un bon souper il ‘y a beaucoup d’ambiance et de rires de quoi nous remonter de cette journée forte en émotions.

Les jours qui suivent les choses se mettent en place naturellement, on range tes affaires, on aménage ton espace de vie, les premières visites de l’infirmière commencent, nous nous familiarisons avec tes médicaments et la longue liste qui les accompagne. Tu participes à la vie de famille, tu manges à table avec nous, tu prends bien tes médicaments et tu es indépendante pour ta toilette. Le vingt-quatre décembre, c’est ta première visite au cabinet médicale de la région. Le médecin te trouve en forme compte tenu de ta maladie, il est même surpris que tu viennes ici sur tes deux pieds, tu es fier de lui montrer que tu es encore alerte. Ce médecin va coordonner la suite des soins, je suis content nous sommes soutenus et compris, de plus, le cabinet médical n’est qu’à quelques minutes de voiture de chez moi.

Mercredi 26 décembre

Ce matin nous avons rendez-vous dans ton appartement avec Caroline et Thomas. Nous allons le vider et le nettoyer pour qu’il soit présentable et disponible car nous allons essayer de trouver un repreneur pour ton bail. J’arrive le premier sur place, bien motivé à faire un peu d’avance en attendant Caroline, je me retrouve vite arrêté, c’est comme si quelque chose m’empêcher d’avancer et me disait, tu es sûre de ce que tu fais ? N’y a t-il vraiment aucune chance que maman revienne ici ? Du coup j’ai des doutes, il est vrai que n’est pas au courant de ce cette opération, nous avons pensé qu’il n’était pas utile de te faire de peine avec ça, mais j’imagine notre tête si nous étions obligés de t’annoncer que tu n’as plus d’appartement ici.

Après quelques instants je me reprends, il est trop tard pour reculer et je commence en enlevant les cadres que j’avais posés il ‘y a quelques semaines et que tu n’auras jamais eu l’occasion d’admirer. Je suis rejoint par Caroline et Thomas, l’appartement se vide peu à peu. Certaines choses vont reprendre leur place au chalet comme ce gros vaisselier et le matériel de cuisine. Ma cousine Sylvia va récupérer ces décorations, ces meubles et ces plantes, on charge ce matériel dans ma voiture. Heureusement une amie a passé durant la semaine elle a pris ce qui pouvait lui être utile, notamment les vêtements. Caroline récupère une table et quelques bricoles, le reste va rejoindre les déchets, il n’est plus question de tri, cette fois tout doit disparaître.

En début d’après-midi, l’appartement est vide, nous attaquons le ménage. La cuisine n’a presque pas servi et le four est comme neuf, vu le peu de temps que tu as passé ici, rien n’est vraiment sale. Vers quinze heures nous avons terminé. Caroline et Thomas reprennent la route en direction de Luzerne, moi je reste pour faire quelques photos, afin de garnir mes annonces pour la reprise de ton bail. J’ai l’impression d’être revenu il a trois mois en arrière lorsque nous sommes entrés ici pour la première fois. Je reparts à mon tour, je suis content du travail que nous avons réalisé aujourd’hui, mais je ne peux m’empêcher de penser que cet appartement a été un beau gâchis de temps, d’énergie et d’argent, quel signes avons-nous manqué, pouvions nous faire autrement ? Ce sont des questions qui vont rester longtemps en suspend.

Lundi 31 décembre

Nous avons décidé d’organiser à midi, un repas avec Caroline, Thomas et leurs enfants et ma cousine Sylvia. On croyait te faire plaisir, mais on se rend vite compte que tu redoutes ce moment, il y a trop de monde pour toi. L’infirmière qui passe ce matin-là, te propose de prendre une dose supplémentaire d’antidépresseur pour te détendre un peu. L’effet est immédiat, alors que nous sommes à table tu t’endors presque dans ton assiette, tu es dans un état second. On te remet au lit et tu vas dormir le reste de journée.

La période suivante n’est pas très bonne pour ton moral, mes filles partent passer quelques jours en vacances à Villars-sur-Ollon chez leur deuxième grand-maman, la maman de ma femme. La maison est vide et calme, peut-être trop calme pour toi. Notre première idée était de monter avec toi à Villars pour partager un moment là-haut et te faire sortir un peu, mais tu es trop faible pour faire le voyage. Tu es triste et nous devons augmenter les dosses d’antidépresseur ce qui te fait dormir de grands moments. Le retour des filles et la reprise de l’école sont les bienvenues, la maison reprend sont rythme de croisière. La première partie du mois de janvier se passe relativement bien, mais tu te pleins de nouvelles douleurs, les dosses de morphine augmentent.

Lundi 14 janvier 2019

Nouvelle visite chez le médecin à nouveau tu es capable de te déplacer au cabinet médical, mais ce petit trajet te stress. Je m’attendais à ce qu’on nous envoie une fois ou l’autre faire un scanner à l’hôpital ou quelque chose comme ça, mais il en est rien, je comprends qu’à ce stade ça n’a plus vraiment d’importance on sait que la maladie suit son cours et que l’issue se rapproche. L’augmentation régulière des doses de morphines pour palier la douleur en est la preuve.

Lundi 21 janvier

Après de longues discutions j’ai réussi à te convaincre de sortir et venir faire quelques pas dehors au soleil. C’est la première fois depuis longtemps que tu vas faire une « promenade », nous réussissons à faire une cinquantaine de mètres, c’est un moment magique, mais tu ne veux pas aller plus loin, car les douleurs reviennent et tu es déjà fatiguée. Nous faisons demi-tours. Tu es fier d’avoir fait ce petit bout de chemin, je pense revenir, mais ce ne sera plus possible. Ce jour-là se sera ta dernière promenade.

Quelques pas au soleil……

Après un mois en pente douce, nous sentons maintenant que la situation se dégrade plus rapidement. Les doses d’antidouleurs augmentent sans cesse, les soins de l’infirmière à domicile se renforce, car tu n’arrives plus à faire certaines choses, comme ta toilette et nous devons t’assister pour prendre tes médicaments. Tu es moins active et tu ne prends plus tous les repas avec nous, d’ailleurs tu n’as plus d’appétit, on te voit maigrir à vue d’œil. Cette fois, c’est le médecin qui se déplace une fois par semaine à domicile pour les visites. Durant cette période, je monte quelques fois pour faire visiter ton appartement, c’est compliqué, car tu n’es pas au courant et je dois placer ces visites du mieux possible, entre mon travail et le travail de ma femme. De plus, nous pouvons de moins en moins te laisser seule à la maison car tu as peur ! J’écris à Caroline pour lui dire de ne pas trop tarder à venir te voir, on commence à sentir que le temps nous est compté.

Puis, c’est la fin des réseaux sociaux et autres contacts, tu n’as plus envie de voir ou de parler à d’autres personnes que nous. Je n’ai pas vraiment compris pourquoi, mais ces contacts te stress et tu as de plus en plus de peine à utiliser un téléphone ou un autre objet électronique. Ça me fait un peu mal, car tu t’isoles volontairement et tu as beaucoup d’amis qui pensent à toi. Je gère les appels et répond aux questions que ce soit tes amis ou de l’administratif.

Ton état continue d’empirer, heureusement les antidouleurs fonctionnent, mais leur dose augmente deux fois par semaine. A la pharmacie on nous regarde bizarrement lorsque nous arrivons avec nos ordonnances pour des substances stupéfiantes en grosse quantité. On comprend vite qu’ils n’ont pas l’habitude de délivrer de tel produit à des particuliers, alors on explique la situation, ils sont adorables avec nous et très serviable. Lorsque je les appelle par téléphone pour demander si tel ou tel médicament et disponible, car que je vais passer le prendre, il connaisse ton nom, ils peuvent tout de suite me répondre je trouve ça formidable. D’ailleurs le réseau de soin tout entier est formidable, les infirmières, le médecin, le cabinet médical. Les informations circule et les ajustements de médicaments se font presque en temps réel.

Début février.

Cette fois tu ne te lèves presque plus, seulement pour aller aux toilettes et ces trajets deviennent périlleux. On imagine des solutions pour te faciliter ces déplacements, mais ça reste précaire et on craint une chute. Tu ne manges presque plus, tu grignotes, tu t’affaiblis. Ton état d’esprit a changé, cette fois tu ne te bas plus, tu as baissé les armes et tu souhaites partir vers d’autre cieux, on ne peut malheureusement rien faire pour toi. On essaye de te distraire comme on peut, dès fois, ça marche et pendant un petit moment tu oublies ta maladie et tu fais même des projets d’avenir.

Les infirmières passent maintenant tous les jours, sauf le dimanche. On t’aide à prendre tes médicaments quatre fois par jour. Pour éviter des dangereux trajets aux toilettes la nuit, on opte pour des couches, cette idée a été difficile à accepter pour toi, car elle te fait prendre conscience de ton état, mais que faire d’autre ?

Maintenant chaque jour on te voit décliner, certain matin en entrant dans la chambre j’imagine te trouver sans vie et d’ailleurs quelques fois j’ai eu peur, car tu étais complètement immobile, la bouche grande ouverte et le teint tellement pâle, mais non, ouf, tu étais encore avec nous. Je pense qu’il est temps d’entreprendre l’organisation de tes funérailles je prends rendez-vous avec les pompes funèbres, j’ai mauvaise conscience de faire ça, mais c’est toi qui nous avais conseillé d’anticiper ce moment lors de notre rencontre au printemps dernier.

Une histoire de chats……

20 février

Ce soir-là, tu as dit « stop ». Il nous a fallu péniblement trente minutes pour faire un aller retour aux toilettes. De plus, c’est dangereux, tu n’as plus d’équilibre et tu peux tomber à tous moments. Lorsque nous avons décidé que tu viendrais à la maison, nous nous étions fixé que « lorsque tu ne serais plus capable d’aller seule aux toilettes tu retournerais à l’hôpital». Cette fois cette limite est atteinte et même dépassée. Tu ne te sens plus en sécurité chez nous, l’environnement n’est pas adapté pour une personne dans ton état et les soins demandent de plus en plus de présence médicale. Tu as peur maintenant de mourir ici et tu ne veux pas imposer ça à nos filles. Après une longue discutions tu nous demandes d’entreprendre les démarches pour une entrée à l’hôpital. Cette décision marque un tournant et un pas de plus vers la fin de ta vie, mais je suis d’accord avec toi je crois que nous sommes arrivés au bout du chemin. Demain matin, je contacterais l’infirmière pour lui transmettre l’information.

21 février

Hasard du calendrier, aujourd’hui Caroline vient à mon domicile, car nous avons rendez-vous avec les pompes funèbre afin de préparer la cérémonie d’adieu. Je l’informe des événements nouveaux et ton désir de rentrer à l’hôpital, Caroline est aussi d’avis que maintenant un environnement médical te conviendra mieux. Nous trouvons une excuse pour partir les deux de la maison et se rendre à leur bureau. En général ce sont eux qui viennent chez vous, mais là bien sur ce n’est pas possible. Nous y sommes, il est l’heure et poussons la porte de ce bureau dont j’avais souvent vu la vitrine, si on m’avait dit un jour que je viendrais ici pour toi…. L’ambiance est lourde mais heureusement la dame qui nous reçoit a l’habitude, elle comprend tout de suite nos attentes. Comme tu l’as souhaité nous partons sur une cérémonie simple et dans l’intimité, après une heure d’entretien les détails sont réglés. Nous revenons chez moi le cœur gros, mais aussi le sentiment d’avoir bien agi, il fallait le faire, maintenant ou plus tard ça n’aurait rien changé. Je suis content que Caroline ait été à mes côtés pour ce moment. Elle profite de rester avec toi cette fin d’après-midi, puis repart pour Luzern.

Dimanche 24 février

C’est ton dernier dimanche chez nous. Demain à dix heures, nous sommes attendus à l’hôpital d’Orbe pour ton entrée. Plus les heures passent, plus l’ambiance devient lourde, on prépare tes affaires comme pour un enfant qui part en colonie, on ne sait pas quoi mettre, des chaussures pour la marche ? Une grosse veste pour l’extérieur ? Mais vas-tu vraiment sortir ? Devant le petit meuble, on hésite, on remplit des sacs. Je m’aperçois que ce meuble contient une foule de choses que tu n’as pas portés, je retrouve les vêtements que nous avons achetés au mois de novembre et qui ont encore leurs étiquettes. Puis sur la fin de la journée, on retrouve un peu le sourire, je pense que tout le monde et soulagé par cette entrée à l’hôpital, c’est vraiment la meilleure solution et c’est le bon moment. Ce soir-là, on insiste pour que tu viennes manger à table avec nous. Nous utilisons ma chaise de bureau comme fauteuil roulant pour te faire parcourir ces quelques mètres. A table, ça rigole et on partage un moment joyeux on en oublie presque ta maladie.

A table, ça rigole et on partage un moment joyeux

Lundi 25 février

Sept heures et demie, je prépare tes médicaments, je pose les pastilles dans la petite soucoupe puis, comme c’est la dernière fois, je referme soigneusement les boites et les ranges dans la box. Je te réveille, nous savons qu’il te faut beaucoup de temps pour faire les choses donc on a prévu large. Vers huit heures et demie, avec notre aide, tu commences à t’habiller, une tenue légère suffira pour rejoindre l’hôpital. Vers neuf heures, je charge tes affaires dans la voiture. Tu fais tes adieux à la petite minette qui a passé presque tout son temps sur ton lit, tu vas lui manquer. A neuf heures et quart, nous t’installons sur une chaise que nous allons porter jusqu’à ma voiture, tu nous fais confiance et tu n’as même pas peur durant ce numéro d’équilibriste. Il est neuf heures trente, c’est le départ. Durant le trajet, on parle de la région, il fait beau et la vue sur la plaine de l’Orbe est superbe. Tu constates que le trajet est assez court, ce qui te conforte dans ton choix de venir ici. De plus, tu n’es pas en terre inconnue, ton papa était d’Arnex-sur-Orbe et nous avons encore de la famille dans la région. Tu connais aussi les responsables du poste de l’armée du salut avec qui tu as des attaches.

L’arrivée à l’hôpital est tout ce qui a de plus banale, je vais demander une chaise roulante pour te transférer depuis le parking et après les formalités administratives d’entrée nous t’installons en chambre. Dans cette chambre au deuxième étage tu es seule, tu as une jolie vue sur la plaine. Quelques minutes plus tard, un médecin vient te voir, nous attendons dans le couloir, lorsqu’il revient vers nous, il nous demande comment nous évaluons la situation, je comprends qu’il veut connaître notre conscience sur ton état de santé, mais les choses sont claires, pour toi aussi, c’est la fin, la seule chose que nous pouvons préciser c’est que tu ne veux pas souffrir et pas de réanimation ou de maintient artificiel en vie, ces choses sont inscrites dans ton dossier médicale. Alors nous sommes au clair, il va demander pour que les aides soignantes t’aident à t’installer. Il est temps pour nous de te dire au revoir, je te sens soulagée d’être ici, je te photographie sur ton lit, se sera la dernière photo de toi.

 Il est temps pour nous de te dire au revoir

De retour à la maison ma femme part travailler, je me retrouve seul. J’entre dans ta chambre et je me retrouve face à un lit défait, après le chalet et ton appartement, c’est la troisième fois que je vis ce moment. J’hésite un instant, puis je me lance. J’enlève les draps, je vide et enlève la petite commode qui te servait de table de nuit, la chambre retrouve peu à peu sa configuration d’origine. Le lit médicalisé partira mercredi le rendez-vous avec l’entreprise de location est déjà fixé. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais besoin de faire ça maintenant, je ne voulais pas que ça traîne. J’informe aussi la famille et amis de ton transfère à l’hôpital, tu m’avais demandé de ne pas trop le divulguer, mais les gens veulent te voir et c’est le dernier moment pour le faire.

Le soir même l’hôpital m’appelle pour m’informer sur ton état de santé, ils t’ont placé sous perfusion pour pouvoir te passer tes médicaments plus facilement, car il est vrai que tu n’arrives presque plus à les prendre par voie orale.

Le lendemain je viens te voir, c’est le choque, je m’attendais à te trouver comme je t’avais laissé la veille, réveillée est souriante, mais tu es plongée dans un profond sommeil, je ne sais pas si c’est naturel ou l’effet des médicaments, mais ma visite ne va pas durer longtemps, je pars en me posant la question te reverrai-je encore une fois consciente ?

Puis, je commence à recevoir les téléphones de tes amis. Ils ont été te trouver à l’hôpital est comme moi, ils sont sous le choc. Ils ont l’habitude depuis quelques années de venir te trouver à l’hôpital, c’est l’occasion de passer un moment sympathique avec toi et d’aller à la cafétéria ou même, de sortir manger à l’extérieur, mais là, ils sont atterrés, ils prennent conscience que c’est la fin. Je me sens un peu coupable, car j’aurai peut-être dû les prévenir. Mais pour moi aussi c’est nouveau, on a franchi un nouveau stade dans ta maladie.

Mes visites vont suivre à un rythme de tous les deux jours, chaque fois je me réjouis de venir te voir, mais je te trouve endormie profondément. Certains amis au téléphone me disent qu’ils t’ont trouvé consciente et malgré ton état, ils t’ont trouvé « bien ». Je me dis que je ne dois pas passer aux bonnes heures.

Puis, lors d’une de mes visites je te trouve réveillée, je m’en réjouis, mais bien vite je réalise que tu es complètement ailleurs, il est impossible d’avoir une discutions avec toi, tu passes d’un sujet à l’autre, tu passes en avant en arrière dans le temps, tu mélanges les choses, tu es survoltée, c’est comme si tu étais sous l’effet de l’alcool ou d’une autre drogue, je trouve ça choquant je préfère presque quand tu dors, ça correspond mieux avec ton état. Je ne vais pas prolonger ma visite.

Vendredi 1 mars

Avec Caroline, nous avons rendez-vous avec les médecins pour faire le point sur les événements qui vont suivre. Pour nous, la situation est claire et nous avons accepté le fait que tu vas nous quitter. Nous discutons de quelques détails techniques. Je me risque à la question de savoir combien de temps il te reste à vivre. Les médecins ne peuvent pas se prononcer, mais il te trouve déjà très faible et la maladie bien avancée, tu ne t’alimentes plus et ainsi tu ne pourra plus tenir bien longtemps, on parle de jours ou de semaines. Nous profitons de ce moment pour te voir, j’avoue ne pas me souvenir ce jour-là si tu étais consciente ou pas.

Mardi 5 mars

Mes filles me réclament pour venir te voir à l’hôpital, suite à mes dernières visites je ne suis pas très chaud pour les prendre avec moi, mais je crains qu’elle me le reproche un jour, alors dès fois je prends l’une ou l’autre avec moi. Aujourd’hui, Myriam, Laure et Audrey m’accompagne pour cette visite. On a de la chance tu es réveillée et nous pouvons discuter avec toi.

Mes visites vont continuer, environ tous les deux jours. Caroline vient en général les samedis après-midi. Ton état se dégrade et je ne me souviens plus si tu étais consciente ou pas lors de nos dernières visites.

Vendredi 15 mars

Peu après quatorze heures, je passe te rendre visite, il fait un temps magnifique le soleil inonde la chambre et la vue sur la plaine de l’Obre est superbe. Tu es endormie, un grand silence règne dans ta chambre, je te trouve très très faible, tu respires par saccade, je sens que la fin est proche. J’ai de la peine à quitter ta chambre, je suis conscient que cette visite est peut-être la dernière et que ta vie peut s’arrêter à n’importe quel moment. Un dernier regard, puis je me décide a partir. Le lendemain matin te ne te réveilleras pas.

Le vendredi 22 mars, nous te rendons un dernier hommage à Lausanne par une belle journée de printemps. Je ne peux m’empêcher de penser que ton esprit est retourné là-bas pré du restaurant d’altitude qui surplombe le village, il n’y a plus personne en cette fin de saison, les touristes sont partis. La neige qui fond laisse la place aux champs de gentianes, de trolls et de crocus. Au pied de La Combe seule le bruit d’une petite cascade d’eau vient troubler le silence. Tout en bas, la vallée du Rhône et le fleuve qui scintille. Dans cette immensité de nature, on entend les marmottes qui sifflent à qui mieux-mieux et très haut dans le ciel, l’aigle vole majestueusement, comme seuls savent le faire les aigles. Quel calme……Quel grandeur….j’en suis convaincu, ton âme est ici quelque part dans ces montagnes, face au Mont-Noble. 

 

F I N

 

Alain Mettral, Octobre 2019